Les Poissons ne ferment pas les yeux
Erri De Luca a dix ans, et il a lu tous les livres, tout du moins un bon nombre de ceux de son père qui forment, dans leur appartement, des châteaux aux tours immenses, forteresses littéraires dont il ne sort guère. Entre les lignes, il pense avoir compris les forces et surtout les faiblesses des adultes, « qui n’étaient pas les géants qu’ils croyaient être ». Cela ne le rend pas plus sociable, de connaître les caractères humains ; de fait, il rejette le verbe « aimer », qui a généré tant de monstruosités entre eux. C’est l’été, sur la plage, à l’écart, il observe ses semblables. Une fille de son âge l’observe à son tour. Elle est différente, tout comme lui : du coup, elle lui parle. Elle se déclare écrivain. Il le deviendra. C’est ce qu’il nous raconte, cinquante ans après, dans une langue riche d’images, christiques parfois : « Tes mains font guérir. » Dit-il. « C’est ta deuxième phrase d’amour. » L’écrivain a raison : « En lisant, on rencontre des phrases sismiques. »
Erri De Luca
Gallimard 15,90 €
Critique parue dans Blake n°59, juillet 2013