Le Tort du soldat
« Pour toi, toute coïncidence est un hasard, parce que tu ne veux ni voir ni connaître. Et pourtant, tout est écrit dans ces sommes égales. » Ainsi l’ancien criminel de guerre nazi parle-t-il à sa fille de ce qu’il vient de découvrir, dans sa vieillesse : « la kabbale était le noyau ignoré du nazisme ». Le tort de ce soldat en est conforté, non pas qu’il regrette ses crimes, mais plutôt son ignorance d’alors, car Le Tort du soldat, ce fut la défaite.
Erri De Luca a construit un double récit remarquable dans lequel il n’y a pas de hasard. Sa rencontre dans un refuge de montagne avec ce criminel et sa fille n’est pas fortuite. Amoureux des grands espaces parmi les cimes ou sur les mers où tout semble libre, ce roman est parfaitement ordonné selon des calculs qu’il a fait siens.
« J’ai fermé les yeux, je me suis endormi une minute, car je ne sais pas prier. » Puis, les ayant rouverts, il a écrit cet hommage à un peuple et à une langue, le yiddish, qu’il a voulu apprendre, pas simplement parce qu’elle a de commun, avec son napolitain natal d’être « expertes en misères, émigrations et théâtres. »
Erri De Luca n’est pas croyant, pourtant il a déjà écrit de nombreuses lectio divina, publiées en plusieurs épisodes par Gallimard. La fille du criminel nazi ne croit pas en dieu non plus, mais elle sait qu’ « en hébreu, un des noms de la divinité signifie : « Ce qui suffit ». (…) Je ne suis d’aucune foi, mais pouvoir s’adresser à « Ce qui suffit » doit être une bonne ressource. »
C’est également ce que l’on peut dire de ce dernier ouvrage paru d’Erri De Luca, qui a bien mérité le prix Jean Monnet 2014 de littérature européenne.
Erri De Luca
Gallimard – Du monde entier 11€