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Feb

Les Ailes de l'enfer - Bienvenue sur Air bagnards
Les Ailes de l’Enfer sonnent la fin d’une époque. Tout d’abord, il s’agit de la première super-production Bruckheimer sans Simpson (on leur doit notamment Top Gun, Le Flic de Beverly Hills ou Bad Boys) pour cause de divorce entre les deux amis puis de mort soudaine et non-naturelle du second. Ensuite, parce qu’à sa sortie en 1997, Con Air fait un peu office de dernière valse du cinéma d’action bourrin, genre qui occupe les premières places du box-office mondial depuis près de 15 ans ; pour plusieurs raisons on peut même penser qu’il annonce l’avenir du genre et sa future déliquescence… L’absence de Don Simpson au générique pourrait servir d’explication (la légende veut d’ailleurs que Simpson ne croyait pas en ce projet) mais, malgré son aura et sons sens aigu du high concept, on peut douter que, vivant, il eût pu inverser la tendance et réussir dans une industrie en pleine mutation… Que ce soit la fragilité du concept, la faiblesse du scénario ou le faux-clinquant de la mise en scène, tout, dans Con Air, porte le sceau de l’excès et du chaos (Comme disait Carl Lewis : « Sans maitrise, la puissance n’est rien »).
Dès la première bobine, et cette introduction type document d’archive sur les rangers, le ton est donné : Que nul n’entre ici qui ne soit amateur de castagne ! Et quand Cage, tel un animal, pulvérise un assaillant d’un seul coup de paume dans les narines et prend 10 ans de placard dans un établissement de haute-sécurité pour avoir protégé sa bien-aimée (enceinte qui plus est), on se met à douter de la bonne santé mentale du scénariste à la barre. Heureusement pour lui, Cameron Poe (Cage donc) entame une touchante relation épistolaire avec sa fille née un 14 juillet (!!!), fait du yoga et des origamis, ce qui l’empêche de sombrer dans la violence propre au milieu carcéral américain et lui procure une chouette coupe de cheveux résolument rock’n’roll. Enfin libéré, notre héros rentre chez lui (du moins il le souhaite très fort) pour l’anniversaire de sa fille en profitant d’un vol spécial, à la justification plus qu’obscure (après plusieurs visions du film je n’ai moi-même toujours pas bien compris, un peu comme face à un Lynch), réunissant le top 10 des pires criminels américains de l’année 1997. Evidemment, il y a Danny Trejo, un black costaud (Ving Rhames), un black marrant (Dave Chappelle), Steve Buscemi en pseudo Hannibal Lecter et, bien sûr, le grand marionnettiste John Malkovich dans le rôle du supe-vilain Cyrus le virus qui tel Cortex a tout prévu pour, à défaut de conquérir le monde, faire s’échapper la bande de bras cassés… Que du beau monde, auquel on peut ajouter du côté des forces de l’ordre, John Cusack (Minuit dans le Jardin du Bien et du Mal ou High Fidelity), en mode chaussettes/sandales, qui passe toute la durée du métrage à jouter avec le gros flic imbécile mais prétentieux campé par l’irlandais Colm Meaney (vu dans quelques bonnes comédies de Stephen Frears ou dans Blueberry). Car évidemment à part Larkin (Cusack), tous les flics de ce film sont stupides au point, par exemple, d’ouvrir une boite (contenant une bombe) sur laquelle est inscrit en lettres majuscules DO NOT OPEN. Qu’importe ! on s’amuse devant ces Ailes de l’Enfer, car nonobstant tous ces défauts (auxquels on peut ajouter les prémices de l’utilisation abusive d’effets spéciaux numériques… qui sous prétexte d’être sans limites vont couler, au cours des années 2000, la crédibilité de bon nombre de films d’action par ailleurs sympathiques). Et même Simon West (qui signe ici son premier film) multiplie les moments de bravoures, bien qu’au final on puisse douter de son réel talent, tant sa mise en scène consiste à singer le style fringuant de Michael Bay en alignant les cadrages outrés et les ralentis boursoufflés. Mais encore une fois, on prend son pied, face à ce casting all-star qui s’amuse, visiblement, à lancer des punchlines parfois téléphonées mais toujours assumées, surtout lorsqu’elles sont prononcées par un Nicolas Cage plus impassible que jamais, véritable figure christique désabusée, n’ayant que deux mots en têtes : HONNEUR et COURAGE. Mais bon, en cette année 1997, tout est permis à Nic qui est véritablement en mode invincible ; rendez-vous compte que tout juste auréolé du succès de Rock, chef-d’œuvre définitif de Michael Bay et film testamentaire du duo magique Simpson/Bruckheimer, il sort, à quelques semaines d’intervalle, deux des derniers grands films d’action du siècle : Les Ailes de l’Enfer, donc, et le magnifique Volt-Face de John Woo. A titre de comparaison, Cage vient d’enchainer en 2012, Le Pacte, Ghost Rider 2 et Effraction ! Le temps détruit tout.
15 ans plus tard, que reste-t-il de tout ça ? Nic Cage, donc, cachetonne pour rembourser le fisc américain et parfois fait bonne pioche (Prédictions, Kick Ass ou Hell Driver). Malkovich fait du théatre et John Cusack met du eyeliner (dans 2012) pour faire oublier qu’il n’est plus le jeune premier, qu’il n’a jamais été, d’ailleurs. Quant à Jerry Bruckheimer, il a troqué ses couilles contre des actions Disney, montrant à ceux qui en doutaient encore qui était le vrai boss dans le couple qu’il formait avec Don Simpson jusqu’en 1996. Aujourd’hui, il produit des films pour enfants principalement à base de pirates et des séries policières très rentables. En 1998, il produit Ennemi d’état de Tony Scott avec le rappeur Will Smith, qui pour le coup aurait presque pu passer pour anachronique s’il n’avait pas eu cette touche hyper-technologique cher au réalisateur de Top Gun. Mais déjà cette année-là, la tombe de l’actioner élevé aux hormones est creusée car l’heure est grave à Hollywood ; le cinéma, c’est important, bordel ! On ne rigole pas avec l’argent des studios ! Titanic et Il Faut Sauver le Soldat Ryan couronne définitivement la respectabilité de deux cinéastes jadis décriés… Suivront, Matrix, actioner SF intelligent, et le retour de Lucas avec La Menace Fantôme, avènement des effets numériques pour le meilleur et pour le pire… Sans oublier le futur traumatisme du 11 septembre, la subite déferlante de super-héros et la prise de pouvoir d’un ancien gros/nouveau maigre néo-zélandais. Les hommes forts de cette nouvelle décennie ont pour nom Raimi, Wachowski, Jackson, Singer, Nolan et tous ont en commun de devoir jongler avec des budgets désormais pharaoniques, des effets spéciaux de plus en plus démesurés et des patrons de studio frileux. Sans compter que pour beaucoup d’entre eux le divertissement de masse est une chose trop sérieuse pour le laisser aux mains, grasses et maladroites, de simples mangeurs de popcorn (on les laisse baigner dans leur servitude volontaire qui caractérise trop souvent les cinéphiles que nous sommes…). Autant dire, que les punchlines débiles, les gros muscles et les explosions non-numériques sont remises au grenier jusqu’à nouvel ordre, faisant ainsi des Ailes de l’Enfer le vestige d’un autre temps, qu’on peut aujourd’hui regarder comme on écouterait un bon vieux rock’n’roll, pièce immortelle témoignant à travers les âges d’un savoir-faire aujourd’hui disparu ou presque… Aubry Salmon
Les Ailes de l'enfer/Con Air - réalisé par Simon West - (USA/1997)