August 20, 2014
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Curieusement, en pensant au non-sens de son mensonge, il ne put s’empêcher de rire. Et ce rire, lui aussi, était incompréhensible. Pourquoi riait-il ? Trouvait-il son comportement comique ? Non. Le sens du comique n’était d’ailleurs pas son fort. Tout bonnement, son cancer imaginaire le réjouissait. Il poursuivit son chemin et continua de rire. Il riait et se réjouissait de sa bonne humeur. (p.22)

Même ses blagues sont toujours morales, optimistes, correctes, alambiquées, difficiles à comprendre qu’elles attirent l’attention sans provoquer d’écho immédiat. Il faut attendre trois ou quatre secondes avant que lui-même éclate de rire, puis patienter quelques secondes encore avant que les autres comprennent et se joignent poliment à lui. Alors, au moment où tout le monde se met à rire – il devient sérieux ; comme désintéressé, presque blasé, il observe les gens et, secrètement, vaniteusement, se réjouit de leur rire. (p. 25)

Emerveillé, Ramon regardait la scène et sentait le rire renaître dans son corps. Le rire ? La bonne humeur hégélienne l’avait-elle remarqué enfin de là-haut et décidé de l’accueillir chez elle ? N’était-ce pas un appel à saisir ce rire, à le garder le plus longtemps possible ? (p.100)

Comme s’il devinait leur embarras, le chasseur s’écrie : « Pisser dans le plus célèbre parc français, c’est interdit ! » Puis, regardant son public, il éclate de rire et c’est un rire si gai, si libre, si innocent, si rustique, si fraternel, si contagieux que tout le monde autour, comme soulagé, se met à rire aussi. (p.137)

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— Milan Kundera. La Fête de l'insignifiance. Gallimard, 2014.