Les journalistes l’ont tué ? Vous, nous, lecteurs/spectateurs/auditeurs sommes aussi totalement responsables.
On lit régulièrement que ce métier est en train de mourir. Qu’il y a trop de journalistes. Que les journalistes font (très) mal leur travail. Alors on a le choix un peu facile entre faire ce constat et ne pas agir, ou faire ce constat et agir.
À bien y réfléchir, il se pourrait au contraire que le journalisme entre dans une nouvelle ère qui sera des plus radieuses. Inutile de faire un rapport de 1000 pages sur la crise de la presse, on en parle depuis des décennies. Inutile aussi de tomber dans le “c’était mieux avant” : d’abord, ce n’est pas forcément vrai et puis il faut faire avec ce que nous avons aujourd’hui, là, maintenant.
Cette crise est une chance et la seule chose qui va permettre d’en sortir ce ne sont pas les unes putassières (au contraire, c’est creuser un peu plus profond sa tombe), les faux-scoop, les maquettes modernes ou les faramineuses aides à la presse. Ce qui va sauver le métier, c’est le CONTENU. Les projets éditoriaux qui proposeront un vrai contenu, des articles/sons/vidéos avec une valeur ajoutée.
Vous vous souvenez de la scène dans Jerry Mac Guire où Tom Cruise passe sa nuit à écrire un manifeste sur son job ? Ben les journalistes et patrons de presse devraient peut-être retrouver ce feu sacré pour sauver leurs médias. Je ne sais pas. Ce que je sais, c’est que journaliste est un des plus beaux métiers du monde. Et que la clé est dans un contenu de qualité, l’indépendance et…le web.
Reste à savoir si vous, lecteurs, qui dénigrez tant “les médias” et “les journalistes” êtes prêts à prendre votre part de responsabilité.
Passez-vous plus de temps à partager et recommander les articles, reportages, photos, podcasts que vous appréciez ou à relayer la-dernière-une-outrancière, le dernier mensonge de tel éditocrate, le communiqué de presse - pardon article - d’un journaliste qui fait tout sauf son boulot ? Voilà, on y est. Imaginez qu’au lieu de relayer cela, on l’ignorait ? Imaginez que ce temps perdu soit consacré à partager les articles, podcasts, vidéos, photos que l’on apprécie ? Un proverbe arabe dit “Pour qu’une chose cesse d’exister, cesse de la regarder”. Acrimed, Bakchich se chargent de dénoncer la désinformation, mais qui valorise l’info ? Vous ?
«
C’était le meilleur des temps, c’était le pire des temps ;
c’était l’âge de la sagesse, c’était l’âge de la folie ;
c’était l’époque de la foi, c’était l’époque de l’incrédulité ;
c’était la saison de la Lumière ; c’était la saison de l’Obscurité ;
c’était le printemps de l’espoir, c’était l’heure du désespoir ;
nous avions tout devant nous, nous n’avions rien devant nous ;
nous devions tous aller directement au Ciel,
nous devions tous prendre l’autre chemin […].
»
Extrait du livre “Un conte des deux cités” (1861) de Charles Dickens. Je l’apprécie parce qu’il peut illustrer de nombreux moments de la vie, voire la vie (bien au-delà de ce que raconte ce livre).
L’annonce de
l’élection du président sur la place Tahrir au Caire est l’un
de mes plus marquants souvenirs de journaliste. Voire le plus marquant. L’attente pendant
plusieurs jours, le déploiement massif des forces de l’armée dans
la capitale, l’effervescence, les négociations en coulisses, la
peur d’une répression féroce, d’être coincée au Caire, l’intense chaleur de jour comme de nuit… la tension
était à son comble. J’ai raconté cette journée ici et cette vidéo résume aussi assez bien l’ambiance incroyable.
L’élection de Mohamed Morsi n’était pas
une bonne nouvelle pour tous les Egyptiens, les Frères musulmans ont manoeuvré avec
l’armée, la gouvernance de Morsi était pour le moins mauvaise –
comme s’il faisait ce qu’il ne faut pas faire, à se demander
comment il était conseillé – mais, des militants de gauche
profondément anti-Morsi, anti-armées et anti-Moubarak s’en
étaient accommodés, le soir de l’élection : « Avec
Morsi président, la révolution continue, si Chafik (ex-premier
ministre de Moubarak avait gagné, ça aurait été la fin pour
nous ». Morsi avait gagné, avec l’assentiment de l’armée,
qui continuait toutefois de manoeuvrer en coulisses. Le candidat des
Frères musulmans finira par nommer comme ministre de la Défense Abdel
Fattah Al-Sissi, qui était déjà au pouvoir lors de la transition,
avec le Conseil suprême des forces armées. Puis après
le coup d’État et une promesse de ne pas se présenter à
l’élection présidentielle, il finira par être élu avec un taux
d’abstention record et avec un score proche de celui de Moubarak
dans ses meilleures années. Un mandat plus tard, le voilà quasiment
réélu d’avance, avec un opposant fantoche et après une campagne
qu’en tant que journaliste, je n’ai pas souhaité suivre.
Notamment parce qu’il est quasiment impossible d’exercer ce
métier en Egypte. Si cela n’était pas simple sous Moubarak et
sous Morsi, des lois qui se sont ajoutées aux multiples pressions,
intimidations, fichages rendent les conditions de travail intenables. L’occasion de saluer tous mes collègues sur place qui travaillent dans des conditions difficiles pour des rédactions plus ou moins compréhensives et qui les paient plus ou moins bien… Bien sûr, les journalistes ne sont pas les seuls à pâtir de ce
contexte quasi-totalitaire : toute opposition est réprimée en
Egypte, sous prétexte de « guerre au terrorisme ». En
2016, Sissi
prévenait : « Nous
avons un plan pour déployer l’armée dans tout le pays en six
heures pour protéger la sécurité de l’État » et
est allé encore plus loin en février dernier
: « Faites
attention. Ce qui s’est passé il y a sept ou huit ans [la
révolution de 2011] ne
se répétera pas […].
Ceux qui veulent ruiner l’Égypte auront d’abord affaire à moi.
Au prix de ma vie, et de celle de l’armée. » Et malgré tout, la France, fidèle à ses (mauvaises) habitudes a décidé de lui apporter un soutien inconditionnel comme je l’ai expliqué dans mes articles pour Orient XXI, sur ce blog et dans un prochain papier qui sortira très prochainement sur le nouveau site Le Monde Arabe. Aujourd’hui, ma tête et mon coeur sont en Egypte…
PS : Je ne suis pas “pro-Morsi/FM” ni anti, je ne suis pas pro ou anti révolution ou Sissi : je ne suis pas Egyptienne donc je n’ai pas mon mot à dire ce que choisissent les Egyptiens. C’est en tant que journaliste, de nationalité française (avec ce que ça implique, cf l’Histoire entre les deux pays) que je m’exprime.
Un jour en réunion, un collègue a présenté un projet qu’il menait avec sa femme sur “l’histoire de l’Algérie”. Il parle toujours de sa compagne-collaboratrice. Avec une idée derrière la tête, je dois l’avouer, je lui ai demandé pourquoi ils travaillaient sur l’Algérie. Il a répondu “Oh elle est Algérienne, elle est passionnée par son pays. Et puis son père et des membres de sa famille étaient résistants”. J’ai relancé : “Et toi ?” “Moi ?” Le voyant un peu confus - en fait son visage s’est décomposé - je lui ai dit qu’en tant que Français, il était forcément aussi lié personnellement à “l’histoire de l’Algérie”. Il s’est arrêté un moment, visiblement interloqué [Je n’avais pas eu de telle réactions depuis que j’avais demandé aux dirigeants de SOS Racisme, le Mrap et la LDH “s’ils étaient “concernés personnellement par le racisme”.] . A répondu “Euh oui”. Puis : “C’est vrai que mon père a été appelé à combattre là-bas quand j’étais enfant. J’ai dû aller en Algérie. Oui, je suis concerné”. A ce moment-là, ce féru d’Histoire d’une soixantaine d’années a compris qu’il n’avait pas une approche seulement intellectuelle, que sa démarche n’était pas forcément dénuée de passion. Ces questions, il ne se les pose pas, on ne les lui pose pas. C’est un privilège.
J’ai eu la chance
d’effectuer (enfin) mon premier voyage en Algérie en avril et mai derniers. A Alger
précisément. J’y suis allée pour suivre les élections législatives, rencontrer des femmes qui ont participé à la lutte pour l’indépendance dans le cadre du projet de (l’excellent) chercheur Mathieu Rigouste auquel je participe - qui est à découvrir et surtout soutenir ici et assister aux commémorations du 8 mai 1945.
Un jour Alain Gresh, le directeur d’Orient XXI, a cité Slimane Zeghidour qui a dit en substance : “L’Algérie c’est la France, la France c’est l’Algérie” pour insister sur le fait que les histoires de ces deux pays sont imbriquées, voire indissociables. C’est en partie vrai. Aller là-bas permet de comprendre de nombreuses choses - d’ailleurs, si vous êtes Français.e / Européen.ne et souhaitez rencontrer des personnes qui ont vécu la colonisation et la révolution : dépêchez-vous.
“La perte de l’Algérie est une blessure narcissique”, m’a dit un Moudjahid. Comment la puissante France, qui apportait “la démocratie, l’éducation, les Lumières, la modernité, le christianisme, la propreté [liste non exhaustive]” a-t-elle pu être rejetée, combattue, défiée, mise en déroute par “des Barbares arriérés, sales, pas éduqués, musulmans” ? Pourquoi n’étaient-ils pas reconnaissants ? [Sur le sujet, lire aussi : “Dans la généalogie des révolutions mondiales, une a été oubliée : celle d'Haïti”]
Pendant 132 ans les Algérien.ne.s se sont battu.e.s. Alors la question que j’ai posée à tou.te.s pour entendre leurs mots, leurs explications, était “Pourquoi ?” Réponse unanime : “A cause de la hoggra”. “Les Français voulaient l’Algérie, mais sans les Algériens. Ils ne voulaient pas vivre avec nous.”
Mais cette histoire, si différente de celle racontée en France - où les partisans de l’Action française manifestent dans les rues sans provoquer le moindre émois, où un tortionnaire est candidat à l’élection présidentielle et où des élus et éditorialistes disent à la TV, à la radio et dans les journaux leur amour du colonialisme et de ces crimes - qui peut la raconter ? Comment ?
Pourquoi mon collègue serait-il “distant” du sujet et sa femme “passionnée” ?
Comment
pourrait réfléchir celui ou celle qui a été déshumanisé pour
justifier l'entreprise coloniale ? Leurs descendants ? Comment accepter cette prise de
parole par ceux jugés sublalternes et donc illégitimes - sauf si
validés - mais autorisés par qui ?
Ceux qui dominent le discours demandent aux autres de “se remettre en cause, de
regarder l'Histoire en face, de se décentrer, penser contre
eux-même” mais en fait selon leur regard - et eux en
sont incapables, parce que leur pensée est universelle. Selon eux.
La remise en cause est trop violente. Rares sont ceux qui peuvent
l'accepter. Il y a le
question de la “légitimité” : qui l'est ? Selon qui ? Et
celle de la “neutralité” ? Qui peut prétendre ne pas être concerné ? Les Français d'origine française, comme
ceux d'origine algérienne ou de pays colonisés - parce que “l’empire colonial français” a été bien vaste… Or quant les
premiers dénient aux seconds la possibilité d'une approche
intellectuelle, factuelle, dépassionnée, ils ne comprennent pas que
l'accusation puisse leur être envoyée. Ceux
qui remettent en cause leurs propres positions de privilégiés sont
rares. Même “à gauche”, des “nouveaux” historien.ne.s, des journalistes et militant.e.s ont un raisonnement et une façon de travailler pas si éloignée de leurs collègues qu’ils critiquent…
C'est
l'un des enjeux majeurs autour des débats sur l'Histoire
coloniale en particulier et l’Histoire en général. Et il semblerait que les seconds n'attendent plus la
permission de ceux qui monopolisent la parole et le sujet.
Je parle de tout ça dans mon article publié sur OrientXXI.info (also available in english & عربي). Merci de le lire et de le relayer si vous l’appréciez !
Des études de chercheurs établissent le changement climatique et les accaparement de ressources comme facteurs du développement de conflits armés ou de groupes terroristes. Un sujet relativement peu exploré, qui concerne pourtant nombre de régions du monde, de la Syrie à l’Irak en passant par plusieurs pays d’Afrique et la Birmanie. Mon article à lire sur OrientXXI.info, publié dans le cadre du dossier que j’ai réalisé : “COP22 Des paroles aux actes”.
Comment se marient les Français.e.s de confession musulmane qui ont comme critère d'épouser un.e musulman.e* et de le/la rencontrer dans un cadre « licite », càd qui ne va pas à l'encontre de leurs convictions ? Eh bien ils ne se marient pas. Ou très difficilement. Et « tard ».
Écrire pour Le Courrier de l'Atlas me permet de m'éloigner de mes sujets “habituels” et d'en traiter d'autres, qui m'intéressent tout autant.
Ce que révèle ce sujet, c'est beaucoup de souffrance. Une souffrance présentée comme « une douleur », prenant une place dans leur vie difficile à imaginer pour les non-concerné.e.s, indiquent les femmes et hommes de 28 à 43 ans interviewés (qui ont tou.te.s requis l’anonymat).
Leur constat est sans appel : « Tout est interdit (haram), mais on ne nous propose pas de solution licite ». Dans la bouche de ces Français et Françaises qui se présentent comme musulmanes et musulmans, une question récurrente : « Que font les mosquées ? Les associations musulmanes ? Pourquoi ce drame n'est pas leur priorité ? »
Ces célibataires ont plus de questions que de réponses : « Qu'est-ce qui ne va pas chez moi ? » « Pourquoi personne ne veut de moi ? » « Pourquoi personne ne m'aide à me marier ? »
Les regards des uns et des autres sont chargés de pudeur, d'inquiétude et de culpabilité. Inquiétude quant aux futur – surtout pour les femmes, davantage concernées indique la chercheuse et sociologue Amel Boubekeur, les plus diplômées surtout.
C'est la double voire la triple peine : les familles françaises musulmanes n'ont été épargnées ni par les divorces, ni par l'abandon de leur rôle par les pères absents. Les filles ont fait de longues études, notamment par besoin d'acquérir un statut et une indépendance financière - mais pas seulement -, ce qui leur est désormais reproché… par d'autres hommes, les candidats potentiels au mariage. Et pour les rencontres de type « mouqabalas », elles n'ont pas de « mahram ».
Tout cela génère de la culpabilité chez les concerné.e.s. Une étudiante en médecine de 28 ans, qui s’est battue pour poursuivre ses études avec son voile, demande « Aurais-je dû faire moins d'études ? » reprochant presque à sa mère de l'avoir poussée… Une autre de 33 ans interroge « Je n'ai ni mahram ni tuteur donc je suis condamnée à rester seule ? » Une jeune femme de 32 ans, orpheline, indique que ses frères lui ont dit : « Débrouille-toi, trouve-le seule ».
Âgée de 30 ans, une avocate s'alarme « de son attirance pour les hommes non-musulmans. » Avant de confier : « Nos frères [càd les hommes musulmans] ne nous aiment pas. On les aime, on les protège, mais eux ne nous le rendent pas. Ils ne nous trouvent pas belles. Ni dignes d’intérêt. Ils préfèrent les sœurs converties comme par le passé ils préféraient les “Françaises”, les Blanches, qu'ils acceptaient avec leurs défauts alors qu'ils sont très exigeants avec nous ». Portant le voile depuis plusieurs années, et parce que les hommes de sa famille ne peuvent l’aider, elle a opté pour les sites de rencontre. « Un homme qui disait être contre toute mixité hommes/femmes et recommande le port du niqab m'a proposé de ‘’sortir’’ avec lui… », s'indigne-t-elle. « D'autres refusent les femmes voilées. “Tu te fais remarquer” », m'a dit l'un d'eux.
Une autre jeune femme s'interroge « Comment en est-on venus à être aussi focalisés sur le voile évoqué par la sourate La lumière (24) verset 31 et à ignorer le verset qui suit immédiatement “Mariez les célibataires d’entre vous […] ?” » Le voile étant devenu un critère pour le mariage, des imams échaudés appellent à ne pas se focaliser que sur les apparences. Une directrice commerciale de 42 ans commente : « Je veux porter le voile, mais je dois travailler. Me marier permettrait aussi de pouvoir enfin le porter tout en ayant une sécurité financière»et « un soutien en cas de souci», dit une autre jeune femme, qui« serait rassurée par le soutien d’un mari en cas de pression extérieure, voire d’agression islamophobe.
Les hommes sont-ils en position de force ? «Oui et on le sait», commente un ingénieur de 37 ans.Un autre homme interviewé indique qu’il a voulu présenter certains de ses amis à des femmes de son entourage« ces frères m’ont fait honte. Ils traitaient les femmes pire que lors d’un entretien d’embauche. Sans aucun respect. Ils savent qu’ils ont le choix et en abusent». Un imam de la région parisienne qui voulait assurer l’intermédiaire entre célibataires après avoir été alerté sur l’urgence de la situation qu’il n’avait pas perçue, raconte, déçu : «avoir abandonné car les frères sont loin d’être au niveau des soeurs : intelligentes, distinguées, diplômées, fiables… Ils disent vouloir se marier, on leur présente des femmes qui correspondent à leur critère mais derrière, ils ne donnent pas suite !»
Autre difficulté et source de culpabilité, pour les femmes et hommes : l'abstinence sexuelle qu’ils présentent comme un choix, mais difficile à tenir pour ces adultes de 30 à 40 ans, voire plus. La réaction d’un homme concernant une recommandation prophétique de jeûner : « Je vais jeûner tous les jours et même les nuits ! ». Des femmes confient également être « frustrées » - peut-être plus ou au moins autant que les hommes ! ».
Les hommes se disent aussi déconcertés et perdus que les femmes dans leur quête. Les deux sont rongés par la solitude, expliquent la psychologue Fatma Maamouni et le sexologue/thérapeute de couple Ali Habibbi : « La solitude est ce dont femmes et hommes se plaignent le plus. »
Finalement, ce « célibat forcé » impacte tous les domaines de leur vie. Avec de lourdes conséquences sur leur santé, indiquent la psychologue et le sexologue : « Les deux peuvent souffrir de déprime, de dépression, de stress ou d’un mal-être qui se transforme en troubles psychosomatiques [càd des maladies physiques]… Il y a aussi la dépendance à la pornographie et à la masturbation pour ces adultes qui ne peuvent assouvir leurs besoins. […]
La solitude pèse tant que des célibataires pensent au suicide. » La psychologue indique avoir vu des femmes totalement “guérir” de leurs maux après leur mariage.
Sous couvert d'anonymat, un chercheur conclut « Je pense que la génération de femmes entre environ 30 ans et 40 ans est une génération perdue. Ces femmes ne se marieront jamais ».
« Il faut sortir de la honte du célibat. Chacun doit s’impliquer pour régler ce problème », alerte Ali Habibbi.
PS : Le résumé de cet article est long car je n'ai malheureusement pas pu le relayer au moment de sa sortie (je n'avais pas eu de confirmation de la date de publication). Il est à retrouver dans le numéro 103 de mai 2016, disponible ici. Un extrait est disponible ci-dessous. Je remercie celles et ceux qui m'ont fait part de leur expérience.
*Le mariage endogène est la norme en France, peu importe la confession et autres critères. Voir travaux de sociologues (Patrick Simon à l’Ined par ex).
Leçon 1 : Un homme, “Arabe” ou “Noir”, jeune de préférence, habitant des quartiers populaires, meurt dans le cadre d’une opération de police ou de gendarmerie
Leçon 2 : Les policiers ou gendarmes l’accusent de rébellion / outrage évoquent la “légitime défense”. Le défunt aurait des “problèmes de coeur” ou une autre maladie jamais décelée, mais qui lui a coûté la vie à ce moment précis
Leçon 3 : Le ministre de l’Intérieur prend la défense des policiers et gendarmes.
Leçon 4 : Au même moment, les médias dominants reprennent et diffusent la version officielle. Ils parlent de “bavure”. Les médias et journalistes indépendants qui enquêtent et trouvent des failles dans cette version sont accusés de “complotisme”. Pression est faite sur les proches du défunt pour les faire taire et les empêcher de “réclamer justice”. Aucune autorité ne présente ses condoléances à la famille
Leçon 5 : Une partie de la population défend les policiers contre les “racailles” qui ont “mérité de mourir” (bien que la peine de mort ait été abolie et qu’a priori elle ne comprendrait pas que Patrick Balkany ou Nicolas Sarkozy soient tués par des policiers à cause des faits qui leur sont reprochés).
Leçon 6 : Des enquêtes prouvent que les déclarations des “forces de l’ordre” étaient fausses / infondées / que les circonstances du décès ne sont pas celles évoquées
Leçon 7 : Des proches de la victime dénoncent “l’injustice”. Politiques, médias, forces de l’ordre parlent de “remise en cause du modèle républicain”, “d’émeutes” et les accusent de “se victimiser”
Leçon 8 : Des éléments factuels, fiables et vérifiables sont apportés devant la justice, prouvant que la version des policiers ou gendarmes est fausse. Les policiers et gendarmes impliqués peuvent éventuellement devant la cour reconnaître leurs “mensonges”
Leçon 9 : La justice relaxe les policiers. Des proches du défunt sont éventuellement poursuivis.
*Il n’y a donc pas de “bavure”. Le rôle de la police est de faire respecter l’ordre politique et économique établi par l’État et les institutions. Les populations auprès de qui les “forces de l’ordre” sont chargées de le faire respecter sont les plus vulnérables de la société : “Arabes”, “Noirs”, pauvres, Roms, etc. Pour comprendre, prenez 2 minutes pour écouter Michel Foucault ici et je vous recommande vivement de lire La domination policière de Mathieu Rigouste.
Il y aurait beaucoup de choses à écrire sur tout ce qui a entouré la mort d’Adama Traoré le 19 juillet dernier dans une gendarmerie de la région parisienne.
Des enquêtes ont été menées depuis, relevant les fausses déclarations des policiers.
Tous les ingrédients sont réunis pour “une affaire d’État”.
Sauf que, tout est “normal”.
Pour comprendre la mort d’Adama Traoré, tout ce qu’il s’est passé depuis y compris la condamnation de deux de ses frères et la clémence à l'égard des policiers qui ont porté de fausses accusations, il faut saisir le rôle de l’institution policière et celui de la justice en France. Le chercheur Michel Foucault l’a expliqué dans ses travaux et le résume dans cette interview vidéo de 1977 en 2 minutes.
Plus récemment, en 2012, le chercheur Mathieu Rigouste a publié La domination policière qui explique bien tous ces mécanismes (il en subi d’ailleurs les conséquences…).
Pour la quatrième année consécutive indique la Brigade Anti-Négrophobie (BAN), un des membres invités à la cérémonie officielle a été interdit d’accès par les forces de l’ordre. Le motif ? Son tee-shirt avec l'inscription “Brigade Anti-Négrophobie”.
Invisibiliser
Cette association, je l’ai suivie avec “L’Alliance noire citoyenne” durant une journée en juin 2011 pour un reportage*, à l’époque de “l’affaire des quotas de Noirs et d’Arabes” à la Fédération Française de Football révélée par Mediapart. (En deux mots, la FFF envisageait de limiter le nombre de footballeurs “blacks” et “beurs” parfois désignés comme des “étrangers” alors qu'ils sont Français, avec des remarques sur le physique “costaud” des joueurs noirs et “l’intelligence de jeu”. Cf la retranscription des propos dans l’article Mediapart.)
Ce matin de juin, peu après 8H30, Almamy Kanouté et Franco Lollia, les deux leaders, rassemblent leur groupe à la sortie du métro. Sous la pluie, Franco Lollia explique sereinement le déroulement de la journée “On ne fait pas de bruit, on ne crie pas, on est juste présents”. Arrivés devant le siège de la FFF, ils s’alignent, ouvrent leur veste pour les uns, tous arborent un tee-shirt “Brigade Anti-Négrophobie”. Les deux pères de famille, âgés d’un peu plus de trente ans, veulent que la FFF comprenne que ces propos sont inacceptables. Durant toute cette journée, un peu plus d’une dizaine de femmes et hommes noirs - et quelques uns d’origine maghrébine**, présents “par solidarité” - sont restés sous la pluie. Immobiles. Sans parapluie. Sans bruit. Je pose alors la question à Almamy Kanouté - que j’avais rencontré lorsque je travaillais sur les conditions d’incarcération en France (interview d’Amedy Coulibaly sur Mediapart) : “Vous n’avez pas de slogan ? Vous allez restez là, sans rien dire, toute la journée ?”
Sa réponse : “Notre simple présence en tant que Noirs dans l’espace public fait peur. C’est déjà quelque chose.” Cette présence, c’est “quelque chose” de notable. De remarquable. Il ne faut pas en faire plus, indique-t-il.
Deux policiers en civils (”des RG” commentera Almamy Kanouté) sont là. À surveiller chaque fait et geste.
Vers 16h, une conférence de presse a lieu avec Laurent Blanc, le sélectionneur de l’équipe de France, à propos d’un match. Un collègue pose une question sur les quotas et les propos racistes, l’ancien champion du monde répond qu’il ne fera pas de commentaires. J’avais retenu d’un rédacteur en chef français qu’aux Etats-Unis, par solidarité - et professionnalisme -, les collègues relançaient avec la même question quand le président refusait d’y répondre, jusqu’à obtenir une réponse. J’ai donc reformulé la question et indiqué que la BAN était présente depuis des heures, sous la pluie, et qu’elle souhaitait le rencontrer. Il accepta de répondre. C’était visiblement pénible pour lui - mais pas autant que cela l’était pour les membres de la BAN qui insistaient sur le choc ressenti quand ils ont découvert la teneur des propos stéréotypés et racistes tenus lors de cette réunion.
À l’issue de la conférence de presse, je suis allée voir Laurent Blanc, lui ai demandé s’il acceptait de les voir. Quelques minutes plus tard, devant le siège de la FFF, une personne est venue chercher Franco Lollia et Almamy Kanouté pour rencontre le sélectionneur 15 minutes (et j’aurais pu assister à cet échange si je n’avais pas précisé que je n’étais pas de la BAN comme le pensait la personne de la FFF mais journaliste). Laurent Blanc les a finalement reçus 30 minutes. Pas d’excuses de sa part, mais il leur a dit qu’il comprenait, m’a alors indiqué Franco Lollia. Être reçus, entendus et écoutés, c’était déjà important disaient-ils. Un seul média s’y est intéressé alors que la révélation des propos avait durant plusieurs semaines fait la une - avec des propos encore plus racistes dans certains cas… Vers 17 ou 18h, le groupe s'est dispersé. Et j’ai appris que l’agent de sécurité noir, qui avait fait des allers-retours toute la journée pour surveiller le groupe, avait dit discrètement à Franco Lollia “Je suis fier de toi mon fils”…
Photo juin 2011, prise avec leur autorisation.
Les paroles et les gestes
Hier, Franco Lollia*** était invité à la cérémonie officielle française de “la journée nationale des mémoires de la traite, de l'esclavage et de leur abolition” en présence notamment de François Hollande (on passera sur la teneur du discours…). L’accès lui a été refusé. À cause de son tee-shirt d’après cette vidéo postée avec ce commentaire sur leur compte Facebook “Cette année, comme chaque année depuis 2011, la brigade anti négrophobie a été arbitrairement expulsée par le bras armé de l'Etat (néo)colonial français du cérémonial censé commémorer le crime qu'il a commis contre notre humanité…”.
En 2013, Almamy Kanouté, élu de la République invité à la cérémonie, s'est retrouvé maintenu par la police, visage contre le sol, après que l’accès lui a été refusé. La parole est confisquée aux premier.e.s concerné.e.s. Leur présence déniée.
L’Histoire de France - de la traite négrière, de l’esclavage - continue d’être cachée, malmenée, réécrite, en dépit de son impact actuel : les concernés parlent de “continuum colonial” dans la façon dont ils sont traités. Quelques éléments sont brièvement rappelés ici : Quand la loi française faisait des esclaves noirs des meubles.
Franco Lollia est quant à lui à écouter ici à partir de la 29e minute sur la BAN (et “La Marche de la dignité”).
L’élu Almamy Kanouté arrêté par la police en marge de la cérémonie de commémoration de la journée nationale des mémoires de la traite, de l'esclavage et de leur abolition en 2013. Source inconnue.
*Reportage finalement pas publié.
**À ce moment-là, le seul inquiété dans “l’affaire des quotas” est celui qui a enregistré la réunion, Mohammed Belkacemi.
PS : Pas le temps malheureusement de développer davantage, l’idée était juste de rapidement publier quelque chose sur cet événement.