Avatar

Tiens, t'auras du bouquin

@taurasdubouquin / taurasdubouquin.tumblr.com

Infos, nouvelles, critiques, notules et quelques textes personnels sur des photos qui inspirent ma passion des livres. patrick(point)planes(arobase)laposte(point)net
Avatar

Par la source coule l’âme de Vintur

Voici un roman quelque peu protéiforme bien plaisant, et même après réflexion, assez original dont les premières qualités sont qu’il se lit facilement et qu’il est prenant.

Le prétexte de l’histoire est assez dérisoire, le narrateur ouvre un jour la porte à son voisin dont un mur de pierres sèches vient de s’écrouler lors d’un violent orage qu’amplifia le Mistral. A partir de là, on part dans de multiples ramifications narratives, historique avec la découverte d’une fontaine antique, géographique avec cette région de Provence au pied du Lubéron, humaine, car c’est aussi l’histoire d’une amitié et d’une connivence qui va s’établir entre le visiteur, un vieux paysan taciturne et bourru et notre narrateur plus jeune, un professeur plus au fait de la modernité, aguerri aux techniques modernes, mais qui va être en quelque sorte entrainé par le paysan dans une découverte de la Provence, Et bien entendu, nous l’accompagnons dans ce voyage entre le passé et le présent, entre la réalité du quotidien et les légendes, entre rivières, bois et collines, à la rencontre des hommes qui les ont travaillés, cultivés, façonnés, de ces habitants disparus ou vivants, sous la tutelle du mont Ventoux et bien entendu, au gré des colères ou des caresses du Mistral, omniprésent dans le livre comme dans le titre.

C'est bourré d’expressions provençales, parfois quelque peu incongrues. Mais bon... les chapitres possèdent en exergue des phrases de Giono sans véritable lien direct avec le récit. Mais bon… c’est un premier roman, ce qui n’empêche pas d’être une grosse surprise. Mais bon, il a quand même obtenu le prix Première Plume 2020.

En tous cas, merci Olivier Mak-Bouchard pour ce roman publié aux excellentes éditions Tripode. Car franchement c’est vivifiant, surtout après des tas de polars sans grand intérêt qu’il a fallu que je m’ingurgite afin de répondre à mes obligations de juré. Je remercie d’ailleurs la crise de la Covid qui entraina l’annulation du salon et me redonna la liberté d’aller respirer d’autres parfums littéraires. Comme celui-ci ! Et ma foi, comme c’est rafraichissant et bien venu.

Avatar

Pas de bol

Il ne s’agit pas d’un roman mais d’un essai, du moins c’est ainsi que l’a voulu l’auteur et que le présente l’éditeur Anamosa. D’ailleurs à regarder le livre, on s’en doute car on voit bien qu’il est bourré d’illustrations, et que la plupart des pages comportent des notes de bas de pages.

Donc un essai, mais franchement dans le genre récit d’aventure, on ne fait pas mieux. Car cet essai porte sur un personnage historique méconnu, même si le dit bonhomme publia de son temps un petit feuillet consacré à certaines parties de son histoire absolument incroyable. Je pourrai dire à la lecture des épisodes de son existence que ce n’est pas une vie que le sort lui octroyé mais plusieurs. Jugez donc vous-même.

En 1792, à 15 ans, ce natif de Bordeaux s’engage sur un corsaire de la toute jeune république française. Pas de bol, le navire est pris par la marine anglaise et notre homme se retrouve enfermé sur un ponton, l’un de ces navires désarmés servant de prison. Confiné avec la lie de la terre, entassé avec des êtres affaiblis et porteurs de virus au sein de cette vaste geôle infecte, infestée de rats, embossée dans la vase d’une rade aux relents putrides, sa santé s’étiole.

Pour s’en sortir il n’a pas d’autre choix que de s’enrôler pour aller se battre contre ses propres compatriotes lors de l’expédition de Quiberon.

Pas de bol, le débarquement sur les côtes bretonnes est un désastre. Comme lui, nombre de supplétifs sont rejetés à la mer et pour sauver sa peau, il regagne à la nage un des navires de l’escadre anglaise.

De retour au Royaume Uni, il embarque en 1795 à Portsmouth en Angleterre à bord d’un baleinier anglais en partance pour une longue campagne de pêche dans le Pacifique.

Pas de bol, son navire fait naufrage devant Nuku Hiva, une des îles Marquises, alors peuplée de cannibales. Il réussit toutefois à s’intégrer dans une des tribus et il y refait sa vie au point de jouir du statut de chef après que sa personnalité ait poussé un petit roi marquisien à lui donner sa fille pour épouse. Il fonde donc une famille, apprend la langue locale, couvre son corps de tatouages. Devient en somme un marquisien totalement intégré, participant aux batailles entre villages, voire inter-îles même, souffrant des défaites et des disettes, participant aux fêtes et à la vie culturelle des Marquisiens. Dans son petit fascicule, il soutint par contre n’être jamais devenu un anthropophage, ce qui est en contradiction avec les rites d’intégration.

Presque 10 ans plus tard, un navire russe apparait à l’horizon de Nuku Hiva. A son bord, l’explorateur russe Krusenstern qui se consacre à l’étude des peuples du Pacifique. Il rencontre bien évidemment Kabris qui va tant l’intéresser qu’il va lui consacrer une large partie dans la rédaction de sa relation de voyage.

En 1804, pas de bol, il est probablement enlevé par les russes qui le ramène au Kamtchatka ; Krusenstern, voulait sans doute le présenter à Alexandre 1er, l’empereur de toutes les Russies, car avoir survécu neuf ans chez des sauvages réputés cannibales, s’y intégrer aussi bien, avoir le corps entièrement tatoué, en faisait une bête curieuse digne de l’intérêt des puissants de ce monde.

C’est ainsi que Kabris perdit sa famille en quittant malgré lui son île pour ne jamais y revenir ce qu’il tenter toute sa vie, ce qu’il regrettera toute sa vie.

Sur le navire, il n’exerce pas ses talents d’adaptabilité à cette nouvelle société comme il l’avait fait lorsqu’il s’échoua sur Nuku Hiva. Ce qui tendrait à penser qu’il juge inutile un nouvel apprentissage puisqu’il désire retourner au plus vite auprès de sa famille. D’ailleurs, à l’escale d’Hawaï il est tenté d’y rester afin d’y attendre un navire lui permettant de rejoindre les siens. Finalement, il y renonce en se rendant compte que les langues des deux îles n’ont rien à voir entre elles.

A bord, Il se lie d’amitié avec le conte Tolstoï. Non pas l’écrivain mais son oncle, un personnage assez atypique, tatoué comme Kabris, anarchiste avant l’heure et visiblement un problème permanent pour le capitaine du navire. En fait Kabris doit affronter tous les problèmes qui se posent aux réfugiés, y compris ceux d’aujourd’hui. S’adapter certes, mais aussi conserver son identité et sa culture car les perdre serait renoncer de retourner un jour chez les siens. Toute sa vie, Kabris, tenta tout ce qui fut en son pouvoir pour réunir assez d’argent afin d’embarquer à nouveau vers les Marquises et y retrouver sa famille.

En cette fin d’année 1804, c’est l’arrivée au Kamtchatka. Il va rester en Russie 13 ans. Et au contraire de sa vie sur le bateau, il décide de s’intégrer à cette nouvelle société. Il en va de sa survie. L’attente d’un voyage retour est vaine. Il va en convenir et il faut vivre. Heureusement les cabinets de curiosité sont en pleine vogue auprès des lettrés de l’époque. Il devient la coqueluche des notables. Petit à petit, d’aristocrate en bourgeois, il se rapproche de Moscou qu’il atteint en 1806. L’année suivante, il arrive à Saint-Petersbourg, où d’ailleurs il va se remarier. Il y a été envoyé pour être présenté au tsar qui exprimera son amitié en le gardant à son service comme maître de natation à l’école navale de Kronstadt.

En 1817, il parvint enfin à revenir en France. Il devient une coqueluche de l’aristocratie européenne. Il est ainsi invité par le roi de France puis par celui de Prusse. Mais si ces sollicitations lui permettent de vivre et de voyager, cela ne l’enrichit pas. Aussi, Kabris pour financer son tant espéré voyage de retour à Nuku Hiva, décide de gagner de l’argent en s’exhibant dans les foires comme bête curieuse. Il compte sur ses grimages, sa faconde enrichie des nombreuses langues qu’il possède, ses mîmes de combats et de danses exotiques, et surtout ses tatouages que nu, il exhibe. Mais tout cela lui permet à peine de constituer un petit pécule.

A l’automne 1822, une vague de froid sévit. Il attrape une maladie infectieuse, peut-être une grippe lors d’une exhibition à Valenciennes. Il est admis à l’hôpital dans un état préoccupant le 22 septembre 1822. Le lendemain, il décède. Sur son lit de mort, sa dernière pensée va vers sa femme et ses enfants de Nuku Hiva.

Évidemment quelques bonnes âmes poussées par un prétendu intérêt scientifique voulurent conserver sa peau. L’hospice qui conservait son cadavre, s’y refusa. Et afin de décourager les probables pilleurs de tombe, il fut enterré entre deux autres cadavres de miséreux.

Évidemment l’histoire du bonhomme est incroyable. Mais ce bouquin, écrit par un scientifique - Christophe Granger est historien et sociologue - se lit comme un bon roman. L’éclairage qu’il apporte par ses connaissances sur tout un monde allant des marquisiens à la cour du tsar ; des pontons de Plymouth au Kamtchatka donne une incroyable richesse au plaisir de lecture. En outre, il faut signaler la richesse de l’iconographie. En somme un livre scientifique qui se lit aisément sans connaissance particulière. C’est à tout à l’honneur de son auteur.

On peut lire le petit opuscule publié par Kabris sur Gallica 

Avatar

Pas de pitié pour les indiens !

Il a beau situer l’action de son récit dans le village de Beaumont du Quercy, tous les amoureux du Lot-et-Garonne reconnaitront celui de Beauville. L’occasion de voir renaitre une époque, pas si éloignée puisque nous replongeons dans l’époque rock et yéyé comme il le rappelle en précisant l’année 1976. Et de constater que Beauville semblait posséder beaucoup plus de vie qu’aujourd’hui. Constat quelque peu inquiétant, comme de se rendre compte que la vie des jeunes de l’époque était bien plus sociale, faite d’aventures aux coins des pâturages et des bois et non virtuelles. Les réseaux sociaux n’existaient pas encore et la télé n’attirait pas grand-monde. Les retrouvailles entre copains et les relations humaines bien plus.

Vous l’aurez compris, Nicolas Dumontheuil est un beauvillois, et il nous parle de sa jeunesse, de son père, instituteur au village, de ses copains d’enfance, des marginaux comme les gens du coin appelaient la petite communauté d’hippies qui s’était installée près du village, redonnant une nouvelle jeunesse à une de ces si belles et vastes vieilles fermes quercynoises. .

ImageImage

Outre l’école, la vie s’organisait autour du lavoir, de l’église, en son cœur autour de son curé vindicatif lors des messes comme au marché qui  s’installait sur son parvis. Le long des trottoirs se garaient des Simca 1000, des 2CV, des arondes, des 4L et des 404 ou autres ami 6. Quant aux jeunes, ils circulaient en « Mob ».

Et puis il y avait les indiens. Ceux des jeux quand l’un des enfants acceptait de se confronter à des gamins coiffés de chapeaux de cow-boys. Celui de la grotte du « Picadou » où régnait Manitoba, l’esprit de la forêt et de la terre, un mannequin à tête de mort surmontée d’une coiffe de sachem. Et puis, et surtout l’arrivée un jour d’été d’un bus duquel descendirent de véritables et authentiques indiens d’Amériques du nord. Des sioux, des cheyennes, des cree… et ce n’était pas fortuit.

Je connaissais l’histoire de ces quelques Indiens de la nation Osage de l’Oklahoma, abandonnés et épuisés, mais accueillis, secourus puis financés pour  retourner dans leur pays, par les villageois de Laprade, près de Montauban ; une histoire qu’évoque Benoit Séverac et Hervé Jubert dans leur formidable roman Wazhazhe paru aux Éditions Le Passage en 2018. Roman tiré d’une histoire véridique.

Par contre ,je ne connaissais pas celle que nous relate Nicolas Dumontheuil. Une histoire un peu similaire, une histoire qui donne du sens à la réputation de l’accueil occitan. Une histoire qui pourrait justifier à elle seule la lecture de cet album. Mais croyez-moi, le plaisir de lecture est à chaque page, tant elle transpire de bienveillante nostalgie, d’humour franc et frais, telle cette scène où les gamins font péter un gros pétard dans une bouse bien fraîche. Je ne vous dis pas la suite ?

Il y a du Margerin dans ce récit. Un Margerin de la campagne, avec une émotion tendre et juste, un hommage teinté d’amertume à une époque bénie des… indiens.

Avatar

Évasion, galère et poésie

On avait déjà découvert Henri Michaux et sa motocyclette dans le dernier roman de Luc Chomarat « Un petit chef d’œuvre de littérature »  (Marest éditeur).

On connaissait aussi ces vers

Quand les motocyclettes rentrent à l’horizon
La seule chose que j’apprécie vraiment, c’est une motocyclette. Oh ! Quelles jambes fines, fines ! A peine si on les voit.
Et pendant qu’on admire, déjà, tant elles sont rapides, elles regagnent prestement l’horizon qu’elles ne quittent jamais qu’à grand regret.
C’est ça qui fait rêver ! C’est ça qui fait pisser les chiens contre le pied des arbres ! C’est ça qui nous endort à tout le reste, et toujours nous ramène, recueillis aux fenêtres, aux fenêtres, aux fenêtres aux grands horizons.

(Plume précédé de Lointain intérieur - Gallimard Poésie)

On connait maintenant Henri Michaux motard avec l’album Visa Transit de Nicolas de Crécy.

Il s’agit en fait de la relation d’un voyage qu’entreprirent Nicolas de Crécy et son cousin Guy au volant d’une vieille Citroën Visa qui pourrissait chez un oncle. Une épave que Nicolas et Guy retapèrent pour aller au bout du monde…  du moins celui que la Visa connaitrait. Soit clair, c’est jubilatoire. Et la moto n’y a pas vraiment sa place si ce n’est sous le cul de Michaux. Non pas Pierre Michaux, le premier créateur du vélocipède à moteur, ancêtre de tous les deux-roues motorisés, non non ! Henri Michaux, le poète déglingué, l’écrivain surréaliste et le peintre génial, belge de surcroit mais d'expression française. Car Michaux aimait la motocyclette.

Ceci dit, parlons de l’album quand même, puisqu’on y est. Je l’ai dit, c’est jubilatoire car il s’agit d’un voyage avec toutes les péripéties que vous pouvez imaginer lorsqu’on est véhiculé par une bagnole pourrie, d’autant qu’elle devait franchir le rideau de fer qui démembrait alors l’Europe. C’est vivant avec toutes ces improbables rencontres humaines qu’un tel engin peut provoquer. Et c’est prenant par les anecdotes ou les souvenirs que le voyage provoque. C’est en outre diablement orchestré et le dessin, trait comme couleur, est tout simplement splendide.

Certains portraits font penser à Crumb. Vous voyez l’admiration que j’y porte. Un seul défaut, la présence un peu lourde de la vierge…qui les accompagne jusqu’aux rives bulgare de la Mer Noire. Heureusement Michaux réapparait, toujours sur sa moto, et exit la Vierge. La suite sera à suivre.

Nicolas de Crécy "VISA TRANSIT" Volume 1. Gallimard bande Dessinée

Avatar

Jouissif

Un tout petit bouquin, réunissant 2 talents, libertaires, donc quelque peu oubliés. Normal, d'autant que dans ces portraits, les notables et pas seulement les roitelets de province, en prennent pour leur grade. Vindicatif l'auteur ? Non pas spécialement. Et dans ces poémes, parfois des éloges, comme cette évocation du ramoneur, intitulée tout simplement XXXI ; simple numéro d'ordre de ce recueil de croquis de rue. Comme si l'auteur proposait au lecteur de deviner au delà des mots qui il évoque.

Le pain manquant un jour à la maison des vieux,

Il a pris son bâton, sa raclette et sa gourde,

D'un bonnet de coton coiffé sa tête lourde,

Et, la besace au dos, laissé pleurer ses yeux.

Puis, cherchant du regard sa bonne étoile aux cieux,

Il s'est mis en chemin, le coeur gros, les mains gourdes,

Et venu dans la ville aux murs silencieux

Il a crié famine à des oreilles sourdes.

Trop sauvage et trop laid pour avoir d'autre accueil

Que d'aboiement des chiens et leur mauvais coup d'oeil,

Ayant bu tout le fiel qu'un enfant pouvait boire.

Il attend pour s'enfuir les premiers papillons

Et va, portrait vivant de la misère noire

Vêtu d'obscurité, de suie et de haillons.

Le lecteur de nos jours ne penserait bien évidemment pas au ramoneur, malgré la suie du dernier ver. L'actualité est telle que l'on ne peut songer qu'au réfugié.

Il faut chercher dans les premières pages le nom du graveur qui accompage cette édition du 105e anniversaire du poéte ; Germain Delatousche. Si l'on trouve pas mal d'infos sur le poète, ce n'est pas le cas du graveur. Il existe un livre de Jean-Daniel Maublan aux Editions de la Pipe en Ecume (1941) quasi introuvable  et surtout "G. DELATOUSCHE, bois gravés, dessins, peintures, témoignages & documents. Bassac, Plein Chant, (2016).

Avatar

Du Japon au Congo, du vélo à la moto

Les récits de voyages que l’on pouvait lire il y a quelques dizaines années étaient en général déprimants. Non pas de par leurs qualités intrinsèques mais surtout par leur description de l’humanité. Entre violence, insécurité et pauvreté, émergeait et illuminait le récit des incursions au sein de sites exceptionnels, d’espaces conquis par les splendeurs naturelles. Les représentations de la nature soulevaient alors des rêves d’aventures.

Les relations de voyages d’aujourd’hui n’ont que peu changé, hormis le fait que les rêves sont devenus cauchemars. La nature d’autrefois n’est plus celle des voyageurs d’antan. Et si l’auteur n’y est pas pour grand-chose, l’homme en est par contre le responsable indéniable.

Guillaume Jan . L’auteur de "Traîne Savane", magnifique déclaration d’amour de la forêt congolaise qu’il avait découverte en reconstituant le parcours du docteur Livingstone, nous entraine cette fois-ci dans la savane africaine et encore au cœur de la forêt équatoriale ou tout au moins de ce qui en reste. Poursuivant son travail de recherche, il est parti cette fois-çi sur les traces de Takayoshi Kano . S’il est évident que cette enquête est un prétexte à une ode à la nature blessée, elle est aussi  l’occasion d’une rencontre exceptionnelle. Kano est un primatologue japonais passionné par les bonobos. Et sa passion était telle qu’il a entreprit en 1973 un voyage au cœur de l'Afrique en vélo ! Au terme de son périple, notre homme, hirsute arriva à Wamba, dans la réserve de Luo. C’est là que Kano fondera le premier centre d’études sur les bonobos. Dès lors, nombre de chercheurs vinrent y travailler, mais la plupart venaient de l’université de Kyoto et d'autres institutions japonaises.. Ce qui entraina une relation toute particulière entre le Japon et la République démocratique (sic) du Congo. Et pourtant Kano est un méconnu du grand public. Pourtant comme le rappelle Guillaume Jan, «il va contribuer à élucider le mystère de nos origines, il va chambouler nos connaissances sur la place de l’homme dans l’histoire du monde, sur la genèse de nos rapport sociaux, sur les racines de nos emportements, si étranges, sur le long chemin que nous avons parcouru depuis que notre famille s’est progressivement séparée de ces autres primates, il y a 12 ou 15 millions d’années. »

Guillaume Jan ne pousse pas l’admiration à cheminer comme son énigmatique héros. Mais il est toujours sur 2 roues, sauf qu’il s’agit non pas d’un vélo, mais d’une moto, chinoise et ce serait là le seul prétexte (c’est bien peu je vous l’accorde d’autant qu’il ne pilote même pas l’engin, passager d’un certain Joël, qui manie le guidon de la Haojin rouge avec dextérité ) pour parler de ce bouquin dans une rubrique pour les molars s’il n’y avait autre chose de bougrement plus intéressant. Ceci dit, les pages décrivant le périple motorisé sont tout simplement remarquables et bien plus intéressantes que celles que leur consacrent nombre d’écrivains motards. « Intrépides feux follets, nous bouffons poussière, boue et kilomètres dans l’exubérance brouillonne de ce jardin originel, dans cette oasis de verdure que l’homme cherche à retrouver depuis les temps bibliques. Une main posée sur l’épaule de Joël, une autre soutenant le jerrican d’essence serré contre mon dos, j’admire le paysage comme au cinéma, en anticipant les bosses impromptues et les trous désordonnées de ce mauvais ruban de latérite, en rêvassant au champ lexical de ce biotope extraordinaire, en méditant sur l’aube du monde et les intentions de Takayoshi Kano, en théorisant sur la condition d’écrivain, et c’est là que nous manquons de périr engloutis dans un torrent dont les berges, parait-il, grouillent de crocodiles. »

L’auteur est suffisamment jovial pour relater les galères qui l’accablent sous une forme humoristique. Il réussit à nous faire oublier que l'Afrique sombre de plus en plus dans les ténèbres qu’évoquait Joseph Conrad. Car si les éléphants étaient chassés lorsque Charles Marlow poursuivait Kurtz, ce foutu collecteur d'ivoire, les bonobos sont aujourd’hui de bien fragiles proies lorsque Guillaume Jan traque les chemins de Kano, cet obscur archéologue de l'humanité qui méritait bien cet hommage lumineux. Et pendant ce temps ; combien de bonobos, combien d’orang-outangs, auront accompagnés la forêt dans l’offrande atroce que les hommes ne cessent de rendre à l’argent.

Avatar

Une virade de dessins

Il est des types qui ont du cœur. Ceux qui suivent régulièrement sur les réseaux sociaux, les clubs de motards le savent bien, car il n’y a guère de virée (plutôt que d’arsouille) sans que ce soit au bénéfice d’une association caritative.  Mais il y a d’autres moyens de venir en aide à des gens qui luttent contre diverses maladies ou pour des gens dans le besoin et la mouise.

Il y a par exemple les livres ; et voici l’occasion de vous faire plaisir, vous qui aimez la BD.

Tout a commencé lorsque Jean-Marc Héran s’est décidé à répondre à la demande de Jeff Naudey, président de l’association HD Le Plaisir - Aide aux enfants malades, qui lui demandait de réaliser un album au profit des enfants malades. Enthousiasmé par l’idée mais déçu de ne pouvoir s’y consacrer pleinement à titre personnel, il s’est  décidé à faire appel à ses confrères dessinateurs et dessinatrices.  Invoquant la générosité de chacun et évoquant la gratuité de l’opération, il s’attendait à un retour positif d’une vingtaine, voire d’une trentaine d’auteurs. La réalité a très largement dépassé ses espérances : ils sont près de 80 à avoir répondu présent ! « Des connus, des très connus (Margerin, Edika, Mandryka...), des pas connus du tout, des inattendus... » dit-il.

L'éditeur Alain Guillo, directeur des  éditions " Un  Point  C’est  Tout ! " ne fut pas en reste puisqu'il a pris en charge le côté éditorial et comme tous les autres protagonistes de l'affaire, n'a tiré aucun profit de ce livre. Donc L’intégralité  des  bénéfices ira  aux  actions de  l’association « HD Le Plaisir » pour les enfants malades.

Je vous invite donc à vous procurer de toute urgence cet album. On y trouve plein de beaux mondes, un peu de tout - des dessins, des strips, voir quelques courtes BD – tout cela sous la bannière de la moto. Et de la générosité. Pour mémoire, l’association HD le plaisir est une association loi 1901 d’aide à l’enfance malade. Créée en 2006 elle a pour but d’apporter un véritable soutien financier et moral aux familles et enfants malades. Ils organisent divers événements afin de récolter des fonds pour aider à financer du matériel ou des soins médicaux coûteux mais indispensables pour le bien-être des enfants. Ils  soutiennent en outre moralement les enfants et les parents qui traversent des moments plus que difficiles, en les mettant au centre de nos événements et de notre attention.

Avatar

Un polar peut-être ? Qu’importe !

On ne sait pas comment toutes deux s’appellent.

Il y a d’abord la maman. Elle est en pleine détresse. Et quand la douleur est trop forte, alors elle s’échappe sur sa moto. Parfois avec sa fille ainée, accrochée à son dos, réveillant la plus terrible blessure d’une mère, la perte d’un de ses enfants, le deuil de la petite dernière. Mais la route prend vite le dessus « Dimanche, comme promis, nous prenons la route. C’est vrai, pendant que nous roulons, il y a tant de choses à surveiller, ma passagère, les pierres sur le bas-côté, les voitures qui surgissent, la vitesse, les tournants, la lumière qui disparaît entre les arbres et réapparait soudain en nous éblouissant que je ne gamberge pas plus loin que le bout des roues ». Et puis, il faut vivre, pour soi mais aussi pour l’autre « parce que nous sommes toutes les deux, j’endosse le tablier du présent, des sourires et de la vie forcée ; je m’occupe d’elle, la nourris, la réchauffe. Ça me fait tenir debout, me cloue dans la réalité. Je ne vais pas chercher plus loin. Nous avançons l’entendement hors du malheur ».

Il y a l’autre, celle qui ne pense qu’à sa mission. Rationnelle, efficace, méthodique et rigoureuse. C’est une tueuse, mais au service de la Nation. Elle a dédié sa vie, dès son plus jeune âge, par refus d’une famille bien comme il faut, au secret, voire au mensonge « Tout semble possible aux menteurs. Lorsqu’on ment pour la première fois, on ignore à quelle drogue on s’abandonne, envahi par l’extase du premier shoot. Mentir à ceux qui ne méritent pas qu’on leur ouvre nos cœurs. »

Elle aussi est motarde. Mais c’est bien leur seul point commun. Peut-être aussi la musique, Janis Joplin, Dr Feelgood, Buzzcocks, Inmates, Little Helpers, du rock dur en somme pour ces deux filles que la vie n’a pas ménagées. Et puis le destin va les réunir, un soir, côte à côte dans une nouvelle lutte, cette fois ci bien plus sanglante, contre des terroristes …

Car en fait, on s’en fout de cette histoire, comme de la moto pourtant si présente sur la couverture, ce n’est pas là l’important. Il faut entrer dans le texte, et s’y plonger pour mieux découvrir ces deux portraits de femmes finalement assez représentatives d’une génération. Deux femmes qui ne s’en laissent pas compter. Des femmes qui luttent, pour leur vie et pour leurs idées, Et même si l'image de la motarde est quelque peu facile, ne croyez pas que l'auteur ait bâclé la psychologie de ses personnages. Bien au contraire. C'est en les faisant parler en les dépouillant et fouillant leur âme que l'auteur excelle. Deux femmes magnifiques comme sait si bien les décrire Denis Soula et que nous avions découvert avec « Les Frangines » également édité par Joëlle Losfeld Éditions.

Avatar

Déçu !

J’évite de parler des livres que je n’ai pas aimés. Mais là, c’est quelque peu spécial. Et pourtant, deux grands du 9e art, c’était en quelque sorte une garantie au plaisir, à l’intérêt. Un livre que j’aurai pu aimer… si les auteurs s’y étaient totalement consacrés.

Car que ce soit côté scénario comme côté dessin, l’album n’est pas abouti pour ne pas dire bâclé. Et pourtant des personnages magnifiques, comme Zidrou sait si bien les camper. Avec quelques dialogues savoureux. Des dessins magnifiques si tant est que Laurent Bonneau s’en donne la peine. De grandes planches, sans réel apport au récit comme à l’ambiance, s’étalent avec complaisance sur de trop nombreuses pages. Du travail d’artiste ? Peut-être. D’ailleurs Bonneau tente divers styles, au fur et à mesure de sa narration, mais sans lien direct avec elle, si ce n’est peut-être le changement de scène, comme pour masquer une construction quelques peu brutale du découpage séquentié.

Pourtant on le sait qu’il est bon ! Mais je ne voulais pas d’un livre d’art. Surtout présenté sous forme de BD par l’éditeur. Peu importe le fond, voire la forme mais il y a quand même tromperie sur l’emballage. Et là, trop c’est trop, on demande une bande dessinée, voire un roman graphique ce que le résumé pouvait proposer tant les personnages nous interpellent, tant l’ambiance est prenante avec ses détails qui interrogent …  Mais non, les mots sont rejetés pour des exercices de styles ! Bonneau comme Zidrou ne devaient pas le sentir, malgré des fulgurances graphiques et quelques dialogues fort bien envoyés. Tout cela laisse vraiment du regret… En fait, j’en veux aux auteurs !

Les Brûlures de Zidrou et Laurent Bonneau. Grand Angle

Avatar

Sabrina de Nick Drnaso.Edition Presque Lune.

Sabrina a disparu.

Son fiancé, Teddy, effondré de douleur, est recueilli par Calvin, l'un de ses vagues amis d'enfance. Calvin va voir sa vie basculer lorsque les journaux vont s'emparer de l'affaire "Sabrina".

Un livre sur l'incommunicabilité, sur la folie, non celle d'un homme, mais celle de notre société, pourtant lisse et propre comme d'ailleurs le trait de l'auteur. Mais derrière ce monde aux teintes douces et pastel, une violence psychologique à se frapper la tête contre les murs. Entre information officielle, fakenews et théorie du complot, où est la vérité ? L'auteur ne propose jamais autre chose qu'une violence psychique exercée non pas par les dialogues toujours maitrisés et polis des personnages, mais par les discours des médias, qu'ils soient sociaux, radiophoniques ou télévisuels. Et cette violence entraine les personnages comme le lecteur au sein de redoutables psychoses... sans possibilite d'échapper à une angoisse imposée.

C'est maitrisé de bout en bout et remarquable. Rarement un album nous a entrainé dans cette vision terrifiante de notre société vidée de tout sens avec autant de clarté glaçante. On en ressort pas indemne !

Avatar

Des BD et des romanciers

Quand la littérature inspire la BD et que la BD revisite la littérature, on ne peut qu’être agréablement surpris. Et ce mois-ci nous sommes comblés. Deux albums viennent nous rappeler que les auteurs de BD savent parfaitement reconnaitre l’apport des grands écrivains. La réciproque est beaucoup plus rare, bien que certains romanciers se prêtent bien plus facilement depuis quelques années à l’exercice du scénario. Donc, ne désespérons pas.

Valentina Grande est professeure de lettres à Bologne, et est devenue une spécialiste de J. D. Salinger ; une gageure quand on sait que Salinger fut l’un des plus secrets écrivains américains. Avait-il quelques secrets à cacher ? Il n’y a rien de tel pour éveiller la curiosité, surtout de ses admirateurs. Ce qui est le cas de Valentina Grande. C’est ainsi qu’elle a découvert l’existence de la première épouse de Salinger, Sylvia Welter, qu’il rencontra en Allemagne dans l’immédiate après-guerre, alors qu’il souffre d’un stress post-traumatique.

L’ouvrage « Salinger, Avant l’Attrape-cœur » (Éditions Steinkis) relate cet épisode de sa vie. Un magnifique portrait du romancier mais aussi de cette toute aussi secrète épouse. Qui était-elle ? Française ou allemande. Nazie ? Antisémite ? Travaillait-elle pour la Gestapo ? Nous ne le saurons jamais Mais toutes ces questions influent directement sur les relations entre Salinger et elle. Et leur magnifique histoire d’amour en souffrira à tel point que Salinger effacera de sa vie, mais probablement pas de ses souvenirs, cette jeune femme énigmatique.

L’album nous saisit par la justesse de ses personnages, leur profondeur tout en nuance, et surtout cette ambiance incroyablement fidèle à l’esprit des écrits de Salinger. Le dessin de Eva Rossetti n’y est pas étranger, tout en tons sépia, et dans la grande douceur de son trait. Le montage des vignettes participe également à l’emprise qui saisit le lecteur. Chaque détail, parfois infime, acquièrt de l’importance suggestive et demande à la lecture une attention particulière qui n’est pas pour déplaire bien au contraire. Salinger y prend de l’importance, interroge, éveille la curiosité. Cela tombe bien, l’histoire se poursuit par un large et riche dossier sur cet auteur fascinant.

Si Salinger ne relate qu’une partie de la vie de l’auteur, ce n’est pas le cas de l’album « Cortazar » qui s’attache à une biographie complète de  l’auteur franco-argentin. Mais là ne vous attendez pas à des révélations. Il s’agit avant tout d’un hommage. Et quel hommage ! Le plus époustouflant album graphique de l'année. Une BD, une bio, un livre d'art où tout se percute, dessins, références, biblio, témoignages, photographies... et surtout cette incroyable inspiration enrichie d'une connaissance et d'une pratique de nombreux styles judicieusement utilisés (flat design, jeux de textures, clins d'œil astucieusement minimalistes, rétros et ludiques, imperfections d’impressions...) pour surprendre le lecteur à chaque page, où le texte alimente le dessin et le dessin influe le texte. Et le pire, c'est qu'il réussit à vous pousser à lire ou relire Julio Cortazar. Un chef d'œuvre. Merci les auteurs, à savoir Marc Torices et Jesús Marchamalo. Et merci à l’éditeur, Presque Lune, pour ce pari insensé et magnifique !

Avatar

Cary Grant lisant "Mr Blandings builds his dream house", le roman d'Eric Hodgins, qui deviendra un film réalisé par H. C. Potter en 1948 (titré "Un million clé en main" dans sa version française) dans lequel bien évidemment l'acteur tiendra le premier rôle en compagnie de Myrna Loy.

L’auteur a écrit ce roman à partir de sa propre expérience et des problèmes inimaginables qu'il a rencontrés lors de la construction de sa propre maison dans le Connecticut. La version originale du roman - qui tient Cary Grant - était illustrée par William Steig.

You are using an unsupported browser and things might not work as intended. Please make sure you're using the latest version of Chrome, Firefox, Safari, or Edge.