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Mais où vont les poussières ?

@maisouvontlespoussieres / maisouvontlespoussieres.tumblr.com

......... Il y a la poussière fine, la poussière qui pique les yeux. La poussière qui colle dans le savon de la salle de bain ou dans la graisse de la cuisine. Il y a les grosses poussières, bêtes de compétition en forme de mouton. Et il y a celle que l'on cache sous les tapis.
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2023 - Elle

Une nouvelle fois pénétrer cette pièce plongée dans la pénombre. Saluer, me défaire, puis me laisser surprendre par la douceur de cette voix grave. Rejoindre la méridienne couverte de coussins pour m’y enfoncer lentement avant de lutter contre la torpeur inévitable. L’écouter un peu et parler beaucoup. Soudain, abandonnant tout contrôle, me vider d’années lourdes. Essuyer mes joues, payer, sortir et enfin respirer sous le ciel gris de mon Paname. Il y a longtemps que je n’avais pas vu ma psy, moi.

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2024 - L’équerre

Acquis en 2003, il était trapu, blanc, joli et lourd. Ce compagnon de mes horaires de tafs nocturnes avait conservé le goût de sel des larmes et de la sueur. Une fois gravie la montagne productiviste des commandes graphiques, je me jetais dans mon paddock et l’écoutais s’éteindre seul, là-bas au fond du bureau. Je l’ai débranché en 2013. Depuis, quelque part au fond d’un placard, il dormait sous trois cartons et une couverture moisie. Malgré sa discrétion, sa présence dérangeait ma Dame. L’ancien assistant modèle qui n’avait jamais failli, a dû prendre le chemin de la déchetterie et de l’oubli. À mi-parcours, sa messagerie remplie de codes secrets et bancaires m’est revenue en mémoire. Agacé par le temps perdu, je me suis emparé un peu trop vite de ce qui était devenu un fardeau pour le rallumer et le vider. Quelque chose a lâché dans mon bras. Une semaine plus tard, je n’avais plus qu’un angle droit en guise de souplesse. Coincé, paralysé et un peu gêné, j’ai entamé la farandole des examens médicaux. Puis, un plus malin m’a diagnostiqué une tumeur qui aurait cédé sous la tension de l’effort. Beaucoup de temps fut nécessaire avant de me retrouver gratifié d’un slip en papier et allongé sur une table d’opération. Quelques minutes avant le scalpel, comparant une dernière fois deux IRM, une interne s’est exclamée : - C’est dingue à quel point une grosse tumeur cancéreuse peut ressembler à une déchirure musculaire toute bête. Parti avec mon baise-en-ville pour une semaine de clinique, j’ai repris mes esprits une heure plus tard, en recherche du premier abreuvoir. Il me reste en souvenir l’étreinte de remerciement et au fond de ma poche, un slip en papier.

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2023 - Un jour comme un autre

Aujourd’hui c’est dimanche, je suis autorisé à ouvrir les volets et les rideaux. Pourtant, voilà des semaines qu’elle ne parle plus. Le crabe lui a attaqué les cordes vocales mais la dépression aussi. Nous vivons comme ça, ma Dame et moi, elle silencieuse et moi discret. Je pars chaque matin, les laissant seuls, elle et le mal absolu. Mais aujourd’hui c’est dimanche, j’ouvre pour laisser entrer un peu d’air. Un peu de pluie aussi.

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2021 - Le quotidien

Chaque jour, je pouvais sentir monter la brume au fond de mes tripes. Brouillard, parfois nommé : solitude. J’aurais aimé me dissimuler, allongé dans une chambre d’hôtel aux rideaux tirés et me contenter de vivre tel un être organique, sans peur, sans rêve, sans rien à fuir. Mais l’existence n’était qu’une suite d’emmerdes, la porte de sortie de l’une correspondant à la porte d’entrée de l’autre. Oui, j’aurais préféré n’importe quelle chambre d’hôtel en lieu et place de ce début de journée du lundi.

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2023 - Une quiche et quelques verres de vin

Philippe avait du nez pour les emmerdes des autres, je n’ai jamais pu me planquer. Au téléphone ou par mail, il devinait toujours les baisses de rythme et les chutes de moral. Sans jamais se lasser, il savait sacrifier son temps pour sauver le mien.

Autour de son unique plat, il égrainait les vieux souvenirs comme les neufs, offrant films, disques, livres et batailles homériques. Puis après un dernier pétard, la tête pleine et le cœur léger, je quittais très tard la maison du fond de la cour à gauche, capable à nouveau d’affronter la nuit.

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2023 - Another love song

Je la vois filer devant moi, sa chevelure rousse dans le vent, telle une pub pour un parfum des années 1980. Son corps musclé en équilibre sur un frêle destrier, elle traverse Paname sans peur ni prudence.

Je la vois filer devant moi et détourner le regard pour ne pas croiser le mien. Enlaçant son pilote de mari, tout comme Jean-Pierre Mader, elle disparaît au coin de sa rue.

Je ne la reverrai que demain, derrière son bureau, la silhouette à contrejour.

Bon... à deux sur une trottinette électrique, ils avaient quand même l’air un peu con.

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2020 - Coincée

Nous étions cinq entassés dans le bureau inférieur. La blatte déguisée en future maman, Petit Patron occupait seul l’étage au dessus. Devant notre surprise, il avait consenti d’y accueillir la plus jeune stagiaire. D’origines identiques, elle partageait avec lui la langue, les textes et l’amour du pays. Après quelques jours traversés dans l’espace clôt, il s’est mis à lui parler de cul. Décrivant sa baise par le menu et ses inventions les plus tordues pour éviter habitude et lassitude. Et puis, dans sa résidence campagnarde, le lit grinçait. Il fallait innover. Seule face à ce flot salace, elle restait silencieuse. Prenant ce mutisme pour de l’approbation, il lui a proposé un long voyage à deux aux frais de la boîte. Il n’y a pas d’économies mesquines. Écoutant son récit sans pouvoir avaler une goutte de ma bière éventée, je venais de comprendre la fin prématurée de sa présence. Mais sans témoin, je savais que derrière elle, il y auraient toutes les autres.

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1977 - Qui est gros ?

Il pratiquait un métier mystérieux mais il avait surtout un attrait que ne possédaient aucun membre de ma famille. Il était différent. Trop rigolard, trop fêtard, trop bruyant, trop envahissant, on ne le voyait pas souvent. Je ne sais par quels méandres, il m’avait à la bonne. À moitié saoul, voire farpaitement paf, il m’avait décrit son boulot d’encreur officiel d’un emblématique héros de l’Abédé. Apprenant la maladie du créateur ne pouvant plus que crayonner, je devais garder le secret en échange d’une œuvre originale. J’ai bien ri de la blague et snobé l’offre. Des années plus tard, j’apprendrai l’existence d’un studio suppléant aux absences du maître. Studio au sein duquel exerçait un certain tonton.

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2009 - Imbu

Œuvrant depuis 1988, j’avais pris le temps de me constituer un carnet. Riche d’adresses, de contacts mais aussi d’amitiés, je le traînais partout et l’étoffais dès que possible. Il m’a longtemps servi de trophée avant de devenir un bouclier puis un parachute. Quand les vents mauvais se sont levés, je savais que je pourrai compter sur deux cents potes pour me repêcher voire m’empêcher de sombrer.

Après tout, nombre d’entre eux me devaient la gamelle.

En me retournant, il en fut seulement deux pour ne pas laisser lettre morte.

Le premier m’a répondu : - Bonne chance.

Le second m’a répondu : - Bonne route.

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1983 - Un plat froid

Ils étaient trois. Trois sur mon dos, entraînant souvent les autres. Pour faire tourner mes journées en chiottes, ils avaient toujours d’excellentes idées. Je les ai côtoyés cinq longues années. J’ai retrouvé le premier, alors qu’il montait la garde devant un commissariat au nord de Paname. Debout sous des trombes d’eau estivales, il avait l’air si loin des arts appliqués. Je n’ai pas su ce qu’étaient devenus ses complices avant de recevoir un message du deuxième. Cherchant des fonds pour créer sa société de slips à trous, il s’était souvenu de notre vieille amitié. J’ai savouré la lettre morte. Quand le troisième m’a envoyé son C.V., je me suis dit qu’il ne se fourrait pas le doigt que dans l’œil. Mais peut-être était-ce moi qui me formalisais pour presque rien ?

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2013 - Tintin

Il tombe une pluie fine et glacée qui n’existe qu’ici. Dans cette ruelle étroite aux pavés crasseux et luisants, mes pas m’éloignent de la fureur immature du salon de l’Abédé. Je ne participe pas au concours ping-pong-bières organisé par le commercial punk aviné de la maison d’édition qui m’a traîné dans cette ville. J’en suis un peu triste. Je ne le sais pas encore mais je ne reviendrai jamais pisser sur les toiles de tente du festival en braillant contre la Lune, la politique, les nuages et les retards ferroviaires. Traitre marqué du sceau de l’infamie, je rejoindrai seul Paname, malgré tout soulagé d’échapper à l’épreuve du dortoir, des hurlements nocturnes et du vomi.

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2022 - Piriforme

Allez savoir comment, au cours d’un entretien d’embauche, j’en suis venu à évoquer les Winachtsbredele de ma Dame mais j’ai vu friser l’œil de Gros Patron. Depuis, il me conseille. Commander deux hot-dogs au Pub irlandais car il sont “comme à New York”, savourer le soudjouk syrien de la ruelle mais pas celui de son voisin ou s’abandonner aux tomates farcies grecques, un peu loin mais pas dégueu. Il aime aussi beaucoup la bière, le pain et le vin. Chaque repas en sa compagnie se conclut par une sieste derrière la photocopieuse. Je pensais en rester là mais c’était sans compter le bénédicité de l’immense dîner de fin d’année. - C’est mon falzar ce truc tout serré ?

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1974 - Passif

J’aime l’odeur du tabac froid qui accompagnait les petits matins de nouvel an, des restes de fêtes et qui imprégnait si fort les tissus. Mes deux grands-pères fumaient. D’énormes cigares pour l’un et des Gitanes maïs sans filtre pour l’autre. L’amateur de clopes récupérait ses mégots pour les déniaper et se roulait la suivante avec les miettes truffées de nicotine. Le fumeur de havanes laissait ses barreaux de chaises se consumer dans le cendrier. J’observais les volutes monter vers le plafond tout en sachant que j’emporterai avec moi leur souvenir dans mes fringues et mes cheveux. De cette époque me restent quelques paquets vides et un énorme cendar bleu ébréché. Malgré toutes les lois, Gros Patron fume tige sur tige et je dois bien être le seul à l’aimer pour ça.

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2018 - Erreur d’aiguillage

Je ne sais pas ce qui me grattais le plus, bosser pour le goupillon ou bosser sur PC. Mais snob jusqu’au bout des ongles, un peu con aussi, j’ai refusé le poste pour aller me fourrer entre les sales pattes de la Blatte et du Petit Patron. Les quatre longues années suivantes m’ont fait comprendre qu’il faut toujours assumer seul les conséquences de ses choix. Ni remords, ni regrets, jamais. Aujourd’hui, mes voisins de bureau portent la robe de bure et connaissent les mystères du Rosaire, mon matériel est un ersatz de Pomme chinois mais le sourire, lui, ne me quitte plus.

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2023 - L’aînée

Encaissant les coups plus que de raison, elle aura été de tous les combats. Assistant aux engueulades, aux verres brisés, au temps gâché, elle était une béquille, une oreille, une serpillière ou une psy, jamais une enfant. Fuyant la mère, elle sera aussi loin du père mais lassée de son rôle de dernier rempart, ce soir, elle part.

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2023 - L’incorrigible

J’ai dû lutter dès le premier jour. Craignant la boulette, je me suis isolé, préférant que seul le travail nous lie. Je ne l’observais que de loin. Est-ce son sourire, ses hanches de l’est ou sa chevelure rousse qui m’ont poussé dans mes derniers retranchements ? Que vais-je devenir maintenant que j’ai glissé mes textes entre ses doigts ?

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2023 - Sang bleu

Descendant de loin, il porte particule et blason. Mariée de raison, sa Dame lui a offert les siens. Tout chez eux respire le passé, le noble, la poussière et le mépris des petits. Leur unique progéniture a mis les voiles depuis des lustres et ils vivent seuls ici, dans ce minable bout de banlieue. Partageant thé, café et biscuits mous, ces étranges rencontres de ma Dame nous déroulent leur existence faite de luxe, calme et volupté. Tout y passe, tout sauf la raison pour laquelle ils ont perdu.

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