July 31, 2016
Ugo Rondinone - Becoming soil Carré d’art, Nîmes - 15 avril-18 aout 2016
Un résumé pour commencer : l’exposition s’ouvre sur une grande salle occupée par un immense rectangle, une immense dalle de terre comme en lévitation à quelques centimètres...

Ugo Rondinone - Becoming soil 

Carré d’art, Nîmes - 15 avril-18 aout 2016

Un résumé pour commencer : l’exposition s’ouvre sur une grande salle occupée par un immense rectangle, une immense dalle de terre comme en lévitation à quelques centimètres au-dessus du sol. Au fond de la salle, une horloge-vitrail, figée. Puis c’est la salle des oiseaux, modelés en argile par Ugo Rondinone puis fondus en bronze, comme les poissons et les chevaux que l’on trouvera plus loin. On déambule entre ces figures simples, volontairement primitives, qui parsèment le sol de la salle. Au fond, sur le sol, une tache blanche faite de petits bouts (de quoi ? papier ?) tombant d’un dispositif accroché au plafond. Une horloge.
Salle suivante : de grandes images de paysages à l’encre de chine rappellent des gravures du XVIIe siècle peut-être. Des morceaux de nature et de saisons. Une serrure de bronze dans le mur. Puis la salle des poissons : comme les oiseaux, mais suspendus, disséminés eux-aussi dans toute la salle. Une horloge.
Passage ensuite dans un large couloir lumineux, sous une arche de terre, vers la salle des constellations, grandes peinture monumentales noires et blanc figurant des ciels ou des espaces cosmiques. Puis la salle des chevaux, modelés comme les oiseaux, introduite par l’apparition de l’un d’eux au seuil qui sépare les deux salles. Enfin, la salle des ciels, dégradés de bleu sur de grands formats aux formats découpés dans leur partie supérieure en forme de nuages schématiques.
Retour à la salle du début : on a fait le tour.

On comprends bien, surtout si l’on a écouté l’entretien d’Ego Rondinone sur le site du Carré d’art, les intentions de l’artiste. La nature, l’espace, les éléments, l’expérience d’une immersion, d’une parenthèse dans l’espace et le temps, la prise en compte (habituelle) de l’espace d’exposition.
En fait d’immersion, on a surtout immédiatement le sentiment d’entrer en territoire connu. Non pas celui de la terre, de la nature, mais celui du dispositif contemporain. Les mêmes causes produisant souvent les mêmes effets, cette volonté, cette nécessité de la prise en compte du lieu, de l’espace d’exposition, entraine ce que l’on voit ici : la dissémination, au sol ou dans les trois dimensions ; ou bien, au contraire, le vide. Et puis le parcours, balisé par ce parterre d’humus d’un côté, et cette porte, cet arc de terre de l’autre côté. Mais voilà : comment ne pas sentir l’artifice, le décalage entre ce cube blanc et ces constructions à l’échelle humaine mais que l’on ne peut néanmoins percevoir que comme des objets désincarnés, ou déraciné, assénant leur propos : « devenir sol! ». Presque un discours, démonstratif (et donc ennuyeux). Tout au plus des signes mais dont la dimension volontairement sensible (la matière, la terre, l’échelle) échoue pourtant à provoquer une quelconque empathie ou sentiment esthétique. C’est grand, certes, mais cela ne suffit pas ; et l’on se prend à rêver à de petites choses qui nous inviteraient à entrer ailleurs, dans une proximité avec cette fameuse nature que l’artiste veux nous tendre et qui est ici définitivement disqualifiée … par le lieu même.
Seules peut-être les grandes « peintures » à l’encre parviennent à supporter le vide des ces salles trop grandes : parce que le regard prend du recul, parce qu’il se focalise, parce qu’on ne peut qu’approcher et se perdre dans le réseau infini de ces lignes qui excèdent le regard.
Pour le reste, on déambule, sans vraiment s’arrêter même devant les grandes peinture « cosmiques », un peu trop semblables, un peu trop dépendantes du processus répétitif de fabrication (d’ailleurs, je remarque que ces cosmos semblent avoir peur du cadre tant ces taches blanches évitent soigneusement les bords …).
Restent ces petites choses : une serrure soufflant un air venu d’on ne sait ou ; cette niche ou brûlait de l’encens, au-dessus de laquelle monte la trace du noir de fumée ; l’empreinte de cette main dans le mur. Et puis les horloges : petits vitraux balisant le parcours, objet presque précieux un peu égarés ici, mais faisant corps avec les murs, le lieu justement. De loin en loin, ceux-là scandent bien mieux le rapport au regard, au temps et au lieu que les installations ou les grands tableaux devant lesquels on s’arrête si peu.
Patrick Scemama explique sur son blog (http://larepubliquedelart.com/ugo-rondinone-au-coeur-des-elements/) que « Ugo Rondinone aura semé des indices, qui sont comme les pierres du petit Poucet et qui permettent de mieux intégrer son univers ». Et c’est bien le problème : tout cela ressemble un peu trop à un jeu de piste qui n’arrive pas à choisir entre le sens de l’œuvre comme art total, l’investissement du lieu ou l’existence autonome de chaque création. Alors c’est le spectateur qui fait son choix, et fragmente ce qui se voulait un tout.

« Becomming soil », devenir terre : c’est le titre de l’exposition. Mais la déclaration d’intention ne fait pas l’expérience, et la terre reste loin….

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