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Exercices

@curvatio / curvatio.tumblr.com

Un texte par jour, sur un sujet imposé (reproduit dans le titre), pendant trente jours *
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07. Tomber, encore

Je ne tombe pas amoureuse promis - c’est à peine si je glisse, sur ta peau – et encore. Seulement quand tu transpires à t’en boucler les cheveux. Seulement quand ta peau fait le verglas, le contraire du verglas, la patinoire de lave : seulement quand tu coules en lave et en miel contre moi, seulement quand tu grondes contre moi, seulement quand tu brûles. Ca me fait tanguer - et si par-dessus le marché - tu continues de parler - tu pèses fort fort fort contre - tous les penchants que j'ai pour toi mais même quand je tombe de tout mon corps – quand tes cheveux bouclent (je dégringole) : je t’assure, je garde mon cœur immobile – stupéfait à sa place à un mètre et quelques du sol. Je m’écartèle un peu d’ailleurs, entre mon cœur qui tire dans le vide et mon corps bas très bas sur toi mais – je tiens. Toi tu souris. Tu me mets par terre mais tu souris. Tu me rejoins presque avec tendresse, tu me tends les mains, tu me relèves. Tu dis ‘t’es pas danseuse ?’ : t’es drôle même quand t’es du magma. Tu as l’habitude que je dérape. Je suis pas danseuse tu sais bien. A peine menteuse et bien chancelante mais - j’ai promis. Je n’ai qu’une parole, je te l'ai donnée, de toi on s'envole, on ne tombe pas ; je me dis que tu me rattraperas

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05. Vibration

J’aime ta voix j’aime tes mots j’aime les mots que tu emploies j'aime toutes tes langues (ancien français inclu) j’aime les tournures de tes phrases j'aime ton vocabulaire loufoque doctoral et vulgaire j’aime quand tu me parles au conditionnel j’aime quand tu me dis s’il te plait doucement et j’aime les silences que tu laisses, parfois, entre deux mots (je pourrais perdre mon cœur pour moins que ça), j’aime quand tu murmures « lève la tête [silence] s’il te plait » quand tu murmures « je te tire pas les cheveux [silence] promis » et ton sourire tout de suite après (et l’univers qui s’ouvre après)

j’aime ta façon d’oser tout dire qui est transparente mais comme personne, j’aime les chemins que prend ta parole, j’aime son extrême, extrême singularité, j’aime quand tu en joues devant tout le monde quand tu fais un spectacle de mots, j’aime aussi quand cinq mots te suffisent, au milieu de ce que disent les autres, pour que soudain j’éclate de rire ; j’aime ta voix grave qui me tue dans le noir, j'aime cette immense chaleur-douceur, des fois j’ai l’impression de mourir seulement en entendant ta voix, j’ai l’impression de tomber dans un creux sans fin dans mon ventre, c’est comme si sous ta voix je pouvais faire – n’importe quoi – et j’aime – que tu me le demandes – (de temps en temps)

j’aime quand tu parles aux oreillers quand tu dis ça donne des envies j’aime quand tu parles au plafonnier quand tu demandes t’as pas des envies débordantes j’aime le culot de raconter – littéralement – l’histoire d’un poissonnier – pour me distraire – de ce que tu me fais – j’aime que tu me fasses en même temps – rire – et trembler – et t’écouter, j’aime (fort) ta façon de me distraire et

autant j’aime (ton corps ta façon de te mouvoir tes trajectoires sur moi ce geste de nouer mes mains sur tes poignets ce geste d’attraper les miens – chaque fois que je les porte à mes yeux – et de doucement les écarter) autant vraiment ta voix elle me fait vibrer à en perdre la tête

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04. Sous la canopée

Ici j’ai une amie qui est mon soleil, une autre madame qui est mon astre, et j’ai toi qui es ma forêt. Le jour où je t’ai avoué que tu étais vert émeraude pour moi (parce que tu es comme une forêt – tu sens bon, tu me donnes l’ombre, tu m’apaises, tu me perds ; tu fais pousser un néflier en bas de chez moi juste en regardant) j’ai eu l’impression de te déclarer mon amour. Je l’ai fait, d’ailleurs, peu de temps après. Et encore quelques jours plus tard – quand j’ai connu toutes tes odeurs – j’ai ajouté un petit sapin près de ton nom dans mon téléphone.

Pendant plus d’un an (on ne se connaissait pas bien) j’ai cru que tu étais calme : véritablement calme ; j’ai cru que tu étais imperturbable. Je t’ai surestimé pour ça. Maintenant je sais lire sous la canopée de ton visage. A la contraction des mâchoires et à l’ouverture de ta voix, je sens quand tu fais semblant – quand quelque chose au fond (en surface plutôt : tes surfaces sont surexposées, chaque centimètre de ta peau croule sous trop de monde de travail et de répétitions) t’oppresse.

Tu ne me laisses pas encore passer sous la surface de ton visage mais ce n’est pas grave ; tu me plais sous toutes tes frondaisons ; j’attends que tu m’ouvres, j’écoute les grondements, au-dessous.

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03. Le cheval doré

La première fois que tu m’as touchée c’était doucement doucement, j’étais couchée à côté de toi et ta main est montée de mon dos jusqu’à mon épaule, est restée là comme un bois mort, brûlant, brûlant, et tu m’as dit des choses brûlantes doucement mais sans les faire ; je t’étais si reconnaissante d’être proche à m’en éclater le cœur mais de rester doux sage et loin, d’observer mes coquilles, mes frayeurs, mes armures mes non-lieux, d’embrasser juste la chrysalide

La deuxième fois que tu m’as touchée c’était violent violent tu m’as dévorée assaillie mordue personne ne m’avait jamais mordue engloutie de cette manière je suis sortie de toi brûlante et rouge avec des marques sur la peau Ensuite tu es parti très loin et chaque fois que j’y repensais j’avais un petit cheval doré qui fondait au fond de moi

un petit cheval doré tambourinant dans ma poitrine un petit cheval doré comme un talisman, un collier, une pièce de monnaie sur mon cœur qui galope entre les battements.

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02. Apprivoiser

S’APPRIVOISER - Décor :

Je portais de la laine blanche quand on s’apprivoisait à longueur de journée par écrit, par la voix, par les champs magnétiques les chutes imperceptibles les petits cadeaux mais pas la peau (pas encore)

Je portais de la laine blanche en-dessous : de la dentelle noire en-dessous : ton prénom tout autour en-dessous : tempête de neige d’amour flocons de laine en-dessous : ton prénom.

S’APPRIVOISER – Mardi : m’inquiéter de ne pas te voir manger te voir descendre seul à quinze heures au téléphone avec ton père ; te rejoindre à pas de loup pour juste m’asseoir à côté de toi ajouter un sourire aux ombres criblées des oliviers, au coup de fil compliqué, au repas oublié ; en langue des signes toute douce, en langue-silence sans mains, pour t’aider juste avec les yeux. Me lever pour partir – et te sentir me retenir (par le creux du flocon)

S’APPRIVOISER – Mercredi : Tu fais tes dossiers au soleil je me fais des nœuds dans le ventre pour rien je vois bien que tu travailles : je te rejoins tout de même je sais que moi aussi je compte pour toi. Je bredouille mon angoisse tu m’écoutes complètement tu réponds simplement (Ca c’est ce que tu crois. Que t’es pas explosive. Mais moi je te trouve explosive.) Et comme ta réponse me fait rire tu me racontes mes explosions : - j’ai l’impression d’ouvrir les yeux. - Je retourne à mon bureau mais je suis toute entière en doux débris de neige sous ta langue.

S’APPRIVOISER : laine blanche, dentelles noires, école buissonnière.

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01. Vivantes

ses cuisses contre les miennes ses bras qui serrent beaucoup trop fort sa voix comment tu peux trembler comme ça arrête ça m’excite trop - d’accord - je peux arrêter je peux arracher tes bras de mon dos, je peux ne pas me coucher sur toi, je peux ne pas tanguer lentement ne pas écumer sur ton corps – jusqu’aux marées – jusqu’à la sueur ( ; comme la mer bat : amoureusement : très tendrement : flot contre flot : les eaux brûlantes) ; mais quand tes jambes serrent aussi fort - qu’elles font déborder – l’océan – je ne peux pas empêcher mes cuisses de trembler elles tremblent parce qu’elles sont vivantes

elles tremblent parce que tu me fais frémir parce que tu me fais tambourinante tremblante parce que tu me fais toute proche de perdre pied

vivante

quand on s’enferme dans ma chambre, vivante longtemps pendant, vivante longtemps après, vivante même quand tu n’es plus là, quand je m’endors seule pour rêver de toi, quand je me réveille en sursaut ventre battant jambes déraillantes 02h48

je t’envoie deux émojis [feuille frémissante feuille frémissante] tu comprendras le message demain tu seras là et moi je serai vivante à n’en plus contrôler mes cuisses

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24. Train

Il me faudrait quelques heures en plus mais c’est sans doute trop demander alors, pour être moins ambitieuse, je prendrais seulement : - un peu d’audace ? - le petit espace qui sert de sas entre les deux wagons du train - un parapluie

Ce serait pour apprendre une chorégraphie entre Carcassonne et Marseille, on sera des petites poupées à Grasse sur Singing in the rain, quelle aventure, il fait trente-six degrés, je porterai mon ciré jaune – roule vite le train arrive bien à l’heure s’il te plait, j’ai peur des regards dans le petit espace entre les wagons et puis il fait très chaud et je n’ai pas de parapluie, j’aurai l’air de quoi dansant avec une brosse à cheveux ? D’une chanteuse ?! Vite le train je suis timide & la répétition est à dix-neuf heures pile, c’est fou j’ai sauté dans les vacances comme dans un train d’un autre pays, différent du mien, trop rapide ; les visages défilent, les aventures, les paysages, j’ai primesauté plus en dix jours qu’avant en un été entier

profitons-en ça va s’éteindre

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23. L’odeur de la vie

L’odeur de la vie c’est ta peau mouillée, les pancakes le matin et le chlore le mercredi soir – les bougies parfumées, le sel sur les galets, la ville écroulée sous les fleurs – la crème solaire, le Thé des Poètes & tes fichus livres d’occasions qui ne sentent pas pareil que les miens. C’est l’odeur du chat contre moi, l’huile d’olive les oignons les herbes de provence qui m’accueillent sur le paillasson – l’odeur de la vie : Mièvreries, Yeux Frits – toi tellement intérieure à moi la nuit que j’en dévore ton odeur ton épaule et ta clavicule – à pleine bouche - à pleines dents. Tes bouclettes qui gouttent dans mon dos et quelques secondes sur le pas de la porte, à t’écouter de l’autre côté, à te manger déjà dans le petit interstice entre la porte d’entrée et le plancher. l’odeur de la vie : Chocolat Chaud & Papiers d’Arménie, petits papiers, petits bois, et petits soucis qui croustillent en passant de tes lèvres aux miennes ; l’odeur de la vie : la cuisine toi et notre lit *

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21. Le désir immobile

Elle a la maladie du désir immobile. Elle ne désire pas, ou peu, trop rarement. Elle se répète souvent cette phrase qu’on lui avait dite dans le noir : ‘le sexe c’est la seule chose que presque huit milliards d’humains partagent’. Elle s’arrache la gorge dans son lit d’être la seule sur huit milliards à ne pas en être capable. Anomalique pense-t-elle anomalique, rejetée de l’humanité, erreur, où est l’erreur, où suis-je cassée, où réparer le désir ? Elle est malade, maudite et seule. Elle n’a pas de corps à offrir, pas de nuits, pas de plaisir : elle est transparente et consciente. Le désir est bloqué en elle sous des quadrillons barbelés et sous la terreur d’être vue. Elle a l’impression de ne pas être assez vivante. De ne pas être vivante jusque là. De ne pas être vivante jusqu’au corps. Comme si son cerveau la mangeait, mais l’avait mangée de tout temps, longtemps avant sa puberté, longtemps avant d’être une enfant. Son cerveau et trois-cent regards imaginaires en permanence dardés sur elle. Elle a honte, toujours honte. Elle se sent comme un puits sans fond. Elle se sent murée & infirme. Elle sait que ça se lit sur son visage : cette femme a le désir immobile.

Elle est comme une phrase de Duras, toute sèche et on ne sait pas ce qui brûle en-dessous. Coincée. Figée. Et parfois quand elle a moins peur, elle se sent comme une phrase très tendre, une phrase dans une comptine ancienne avec rien que de la tendresse dedans – alors elle s’imagine qu’elle pourrait aller sur la peau des autres. Tant qu’on ne demande pas de feu en-dessous. Quelle phrase est-elle elle n’en sait rien. Personne ne l’a lue jusqu’au bout. Les hommes la quittent, les femmes aussi. Elle n’a pas de corps à leur offrir. Elle ne sait même pas imaginer. Quand elle se fait des films, ils s’éteignent en fondu au noir dès que les vêtements se déplacent. Et au-delà, son corps refuse. Son vagin se resserre comme ses mâchoires quand elle a peur, elle panique et éclate en larmes. Elle peut pleurer, parfois des heures, sur son désir coincé figé, quelque part au fond avec l’amour. Son désir comme un fruit pourri. Qui l’assèche à chaque battement de coeur.

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22. Robe

tu auras trente ans dans sept mois & quelque chose me dit que d’ici là tu porteras ta première robe. je t’imagine sous ta première robe et je souris aux anges, aux longs longs détours de la vie et à ta classe dévastatrice de femme grande, fatale, torturée, qui a encore tant à se découvrir. j’ai du mal à deviner quelle première robe tu choisiras tu es assez peu prévisible assez souvent Néon-Démon tu ne rentres pas dans mes graphiques. peut-être qu’erreur de débutante tu te tromperas sur la coupe (ce qui serait sans doute adorable), ou bien plus certainement tu seras belle à tomber par terre à déjouer tous les pronostics et à m’en déglinguer le radar braqué aimanté vers ton dos depuis janvier deux mille dix-huit

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20. Du sel sous les paupières

Ce qu’il reste de l’amour, vingt juillet deux mille vingt-deux : 

- des photos de fauteuils anciens prises et aussitôt supprimées car je ne peux plus plus te les envoyer - des fleurs mal regardées, des regrets, des vidéos qui tremblent - une préface dévidée mot à mot puis plus rien, des grains de chlore dans une mue coincée - des poétesses tubéreuses et des voix qu’on n’apposera pas - des doutes, des doutes, des doutes - des ruelles sans toi dedans - un cache-pot vide, des enveloppes vides, et une déflagration : qu’est-ce qui s’est passé entre nous ? - trois petits points qui s’agitent & s’effacent sur l’écran de mon téléphone - du sel sous tes paupières - le mal que je te fais, des jours couchés par terre - de la honte sous ma langue - de la soif sous mes doigts

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19. Les mots sont des arbres

Les mots sont des arbres et je t’ai blessée j’ai planté sous ta peau des tas de petites horreurs là où personne avant n’avait posé ses lèvres et je les vois pousser en te mangeant les veines ‘rien de grave’

je suis désolée si tu savais je ne tiens plus sur mes jambes et je me retiens de pleurer tout le temps je pleure sur la forêt blessée qui pousse à l’intérieur de toi à cause de moi

mais plus je pleure et plus je te le dis : plus ça pousse.

je n'aurais jamais cru te faire autre chose que de l’amour  de l’émeraude ou des Arbres Sans Fin avec mes mots.

je voulais que tu te couvres d’amour de douceur, d’ombre et de menthe sauvage. je le veux toujours mais juste je ne suis pas sûre d’en être capable

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16. J’étais là

Lydie Dattas a écrit cent cinquante fois le même poème présence pure ravagée

Quelques mots : Roses – Azur – Tonnerre – Lys – Anges – Cœur Quelques titres : Le ciel me tire à lui – Le désir d’être pure – Aussi loin que mon cœur – Ce que le ciel me veut – J’ai repris mon amour – Dieu est fou

Le Livre des anges est suivi du Carnet d’une allumeuse Je lis lentement sous les platanes

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17. Les hautes sphères

Le syndrome Deume oui parfaitement très bonne idée d’avoir élu Belle du Seigneur livre de train de l’été deux mille vingt-deux, réélu à dire vrai car c’est une relecture, très chic ça relire Belle du Seigneur, très littéraire, hautes sphères. Veiller tout de même à poser le livre à l’envers sur la tablette du train quand pause s’impose pour rêvasser, ne pas laisser croire aux passagers qu’on souhaite être vue lisant Belle du Seigneur, relisant, à vrai dire, hautes sphères mais pas pédante, jamais démonstrative. Relire donc Belle du Seigneur et en cacher la couverture et recommencer à se parler, ces livres qui infusent en moi quelle fatigue, façons de lire, manière d’être, khâgneuseries immer noch, la poésie contemporaine ne m’a pas sauvé le monde, en tout cas pas longtemps, pas le poids face à mille cent neuf pages et Ariane Deume dedans, nous sommes très semblables vous savez, bovarysme mais pas que, bovarysme et baignoire. Moi aussi vingt-neuf ans dans le grand miroir d’une salle de bain ancienne avec arc-de-cercle carrelé autour de mon reflet et mosaïques de fleurs bleues, je me discute, je me dévêts, ça fait combien d’année que je n’ai plus de miroir en pied, je me découvre. Pas si grasse que je pensais je me soupèse, je me regarde avec l’œil d’une autre, ma Varvara brune à bouclettes, qu’est-ce qu’elle verrait si moi toute nue ? Femme jeune plutôt jolie si on enlève la tête, correctement proportionnée, élancée, longues jambes, longs bras, le ventre presque plat finalement, qu’est-ce qu’on pourrait faire pour la tête, lui parler pour qu’elle soit distraite, oui lui raconter les yeux frits, lui dire que j’ai peur des yeux frits, que je me sens plus Mariette souvent, que j’aime dans des minuscules sphères.

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18. Chaos

     La propriétaire de la maison de vacances n’est pas causante et moi non plus mais il suffit d’une catastrophe pour qu’on se répande et qu’on se répète et la propriétaire de la maison de vacances ne fait pas exception. Elle nous appelle à seize heures, très dame effarouchée, confondue, pour expliquer que la location ne sera pas prête à l’heure. Elle s’excuse une-fois-dix-fois-douze-fois, les quatre couples d’anglais qui devaient quitter les lieux à dix heures ont refusé de se réveiller, ont laissé leurs bouteilles partout dans la maison elle-même laissée sans dessus dessous et ont brûlé la gazinière – brûlé la gazinière ! Partie en fumée & nous nous retrouvons dans une maison sans four. 

     Le soir la petite dame nous accueille et s’excuse encore demande pardon sur tous les tons, elle commence presque toutes ses phrases par ‘cher monsieur’ ou ‘chère madame’, sa voix chevrote, elle est très jupe-crayon, chic & crisp, vieille france, et sa détresse me fait de la peine. Meanwhile son fils de trente-quatre ans efface les dernières traces du cataclysme dans la maison et nous nous demandons pourquoi il porte un jogging un polo noir et une polaire, il fait quand même quarante degrés.

     Le fils revient le lendemain tout de polaire vêtu, ours triste de la tête aux pieds, pour installer - une gazinière. La petite madame nous explique qu’il cache son psoriasis depuis le décès de son père – cinquante-trois ans, un AVC en pleine réunion - catastrophe et à l’instant même j’ai envie d’être amoureuse de lui. Sa voix-cailloux derrière sa barbe ses yeux bourrus ses mains hirsutes il a des yeux très verts derrière, envie de lui enlever sa tristesse, ses trois polaires, envie d’embrasser sa peau sèche, un homme en chaos sous son sweat ça me tombe ma robe et mes défenses

je pourrais l’aimer comme une folle jusqu’à ce qu’il enlève son t-shirt et qu’il sourie du fond du cœur (je pense sans oser dire un mot)

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29. Ça va, ça vient

Écrire ici, ça va, ça vient. Sans plus. Avec un vivier de mots extrêmement limité, toujours les trois mêmes constructions syntaxiques et des problèmes de rythme. Mais, malgré tout : ça va. Bon an mal an, quand on est égoïste et taiseuse comme je le suis, on arrive encore à faire le tour de sa pomme en trente jours. On est un fruit inextinguible. Même si c’est toujours les mêmes mots. Toujours les mêmes répétitions. Et perpétuellement hors saison. Mais ça vient, ça ne me plaît pas mais ça vient. Et puis, cette année, le jeu s’est éteint, donc pour cette fois ça fera l’affaire. On arrête d’être difficile, c’est juste histoire de s’y tenir. De faire attention. De regarder. On devrait de toute façon interdire d’écrire sur ce qu’on ne connaît pas. Ce qui ne me laisse pas beaucoup de choix. J’écris sur ce que j’ai sous les yeux.

Il y a trois photographies sur ma ‘bibliothèque’ niçoise. Sur la première, une radiographie de femme avec un immense collier de perles et des tentacules de poulpe à la place des jambes. Sur la deuxième, un gros plan d’un visage de femme, style actrice des années quarante, avec deux verres d’eau sous le visage, et ses larmes qui coulent dedans. Sur la troisième, des morceaux de jambes d’homme et de femme et Cocteau qui complète le corps en dessinant. Elles sont toutes les trois noires et blanches et, devant les photos et la bibliothèque, il y a mon moral qui va et vient comme un chat qui rentre et sort et rentre et sort, à croire qu’il ne sait pas si il veut rentrer ou sortir. Ce qui compte c’est de ne pas s’arrêter. Je suppose. C’est moins la balade que le regard.

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25. La fin de l’été

L’approche de Nice, en bus, depuis le côté italie de la côte. A chaque fois, c’est le même cinéma. Roulements de tambour et goélands.

Quand j’aperçois la barrière de petites montagnes qui encerclent ma ville – la côte en dos de poissons à la queue leu leu – le bleu protubérant du ciel, la mer turquoise et les paillettes – entre le bleu et le bleu, points de rencontre : les têtes de palmier, les cheminées en forme de maison, les bateaux – les avions qui atterrissent en grattant les toits de la vieille ville, les avions si énormes qu’on voit les dessins sur leur coque et qu’on ne s’entend plus parler, les avions si énormes qu’on dirait un dessin animé, ou une perspective archaïque – et la lumière insubmersible, la roche de chaque côté de la route, et, surtout, l’avalanche de fleurs,

à chaque fois, rien à faire : j’ai le ventre qui fait des bulles, presque comme si je tombais amoureuse d’un garçon. C’est peut-être d’être gorgée de soleil comme un poivron grillé qui me fait ressentir toutes ces bêtises, c’est peut-être d’être un peu saoule d’eau de mer, n’empêche que c’est bien là, n’empêche que c’est là toutes les semaines, grand cinéma au Mont Boron : ça n’en finit pas de m’éblouir et de me dérégler le rythme cardiaque. Je suis contente que l’été ne finisse pas avant janvier.

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