Il y a un certain charme au chant sourd des rails sous les longues voitures, au balottement irrégulier et au paysage qui défile en racontant mille histoires pour les yeux les plus vifs.
Ceux de Manon sont entraînés, et à plus d'un titre. Des brouettes qui traînent, mares temporaire pour opportuniste à poil ou à plumes, aux faisans qui se pensent invisibles dans les champs, elle voit tout.
Aujourd'hui malheureusement, son voisin de tablée en a entendu autrement. Les joies de la faune et la flore, il les garde pour son assiette. Là, tout ce dont il a besoin, c'est moins de nature, et davantage de confort oculaire. Aussi, et sans en aviser qui que ce soit et encore moins Manon avec qui il partage l'espace, il baisse le store occultant grinçant et gris.
Manon n'a pas vraiment le temps de réagir. Concentrée sur les arbres qui défilent un à un, bouleau, bouleau, bouleau, bouleau, bouleau, érable, bouleau, bouleau, frêne, bouleau, bouleau, ... Gris. Ses yeux, comme des balles de ping pong rebondissent vivement sur l'obstacle entre son regard et le dehors pour atterrir dans ceux de celui qui l'a abattu.
Derrière ses lunettes, son voisin lui sourit brièvement, avant de retourner son attention vers un écran qu'il loge dans une main et tapote avec l'index de l'autre. Parfois, il recule l'appareil et relève la tête en arrière comme si c'était un objet qu'il voyait pour la première fois. Après quelques instants, il y revient non sans garder un certain doute dans les gestes.
Manon a souri, par automatisme plus que quoi que ce soit d'autre. Elle a commencé à déconstruire la politesse mal placée. Celle dans laquelle elle accepte "gentiment" de faire passer les besoins des autres avant les siens. Ici, elle a été prise au dépourvu. Et maintenant qu'elle a souri, difficile de revenir en arrière, au risque de passer pour une emmerdeuse.
Pour se consoler, elle jette des regards furtifs dans la vitre d'après, et celle d'à côté. Mais ça ne vaut pas "sa" propre fenêtre.