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cette hallucination congénitale

@estherkahn / estherkahn.tumblr.com

Je m'étais donc spécialisé dans l'étude des soi-disant « maladies » de la volonté et, plus particulièrement, des troubles nerveux, des tics manifestes, des habitudes propres à chaque être vivant, causés par les phénomènes de cette hallucination...
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Vous commencez à connaître quelques-uns des hommes et des femmes qui vivent autour de Tarendol. Il en est d'autres que vous n'avez encore jamais vus, que moi-même je soupçonne à peine, qui tentent de prendre forme, ombres dans le brouillard. [...] Vous vous demandez s'ils sont tous bien nécessaires à notre histoire, mais si l'on enlevait, autour de vous, tous les gens qui ne vous sont pas bien nécessaires, essentiels, ceux auxquels vous ne pensez qu'en les voyant, que resterait-il de vous-même? Ils occupent les trois quarts de votre vie.

Tarendol, René Barjavel

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Jean est parti quand les étoiles ont été bien installées dans le ciel. Il monte vers le Désert par l'escalier de pierre, lentement, à grands pas calmes. Il doit faire deux pas pour couvrir chaque marche avant d'atteindre la suivante. Chacune est un petit palier en pente. Jean s'est tressé des sandales de paille, des semelles épaisses attachées par des ficelles aux orteils et aux chevilles. Il marche sans bruit sur les dalles de granit usées par des siècles de pas. Il atteint le village endormi que l'escalier coupe en deux jusqu'au rocher dressé dans la lumière de la lune. Jean monte entre les murs des maisons mortes. Des cavernes d'ombre indiquent un mur écroulé, une ruelle, une porte ouverte sur l'abandon. La lune coule du marbre sur les façades de pierre. L'ombre est bleue. Jean monte vers le rocher plus haut, plus droit, plus proche et plus inaccessible à chaque pas. Sa longue et haute muraille barre maintenant tout le ciel, domine la terre en repos, le sommeil des hommes. Jean, aux premières maisons, s'est senti délivré de toute présence. Il est entré dans un monde de pierres glacées et de nuit bleue et de silence. De la vallée, au dessous de lui perdue, plus irréelle à chaque marche gravie, montent quelques bruits fantômes. L'escalier s'arrête entre deux maisons. l'une et l'autre silencieuses. Celle de gauche est celle de Marie, celle de droite est morte. Devant le pas de Jean s'étend la place nue, dallée de grandes pierres. Les maisons qui l'entourent sont presque toutes éventrées par la nuit.

Tarendol, René Barjavel

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Au premier pas, quel que soit le sec du dehors, on marche sur de la glaise humide, jaune, qui colle aux semelles. On s'enfonce dans le silence, on perd peu à peu la lumière. On trouve l'eau au moment où les bruits du dehors sont devenus très légers, cachés derrière une épaisseur de calme transparent. Une rangée de pierre marque le commencement de l'eau, car elle est si claire, tellement immobile, elle continue si parfaitement la demi-lumière verte et le silence et la fraîcheur qu'on ne la distingue pas du sol et qu'on entrerait à plein pas dans sa transparence. Pour la puiser, il faut s'agenouiller sur une dalle marquée d'une croix presque effacée. Les gouttes qui retombent font résonner l'argent de l'eau jusqu'au fond de la caverne. On ne voit pas le fond. Il est quelque part plus loin, dans le noir de la montagne. Les femmes remontent le chemin en escalier, les bras étirés par le poids des seaux où le sang de la montagne reflète le bleu du ciel qu'il n'a pas vu depuis des ans et des ans, quand il tombait en pluie sur la cime du rocher.

Barjavel, Tarendol

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Dès que la nuit les rend l'un à l'autre, ils oublient ce qui les a séparés, ils oublient même d'avoir été séparés. Ils se touchent d'abord par les mains, par la bouche, ils se pressent, ils voudraient se confondre, ils se serrent l'un contre l'autre dressés, ils sentent des chevilles au front leurs deux corps joints, ils écartent tout ce qui n'est pas vivant entre eux, les étoffes, les peurs, les souvenirs du reste du monde, ils chavirent sur la terre qui s'étire encore et craque de l'ardeur du soleil, ils ne sont plus qu'un, brûlant, chantant, foulant d'amour dans l'haleine chaude du rocher. Grands comme lui, purs et clairs comme les étoiles, et plus innocents que les fleurs qui naîtront le matin.

René Barjavel, Tarendol

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Le couvre-feu est à cinq heures. C'est trois heures au soleil, la pleine chaleur de l'après-midi. Dans les rues vides, les soldats verts circulent mitraillette au bras, seuls avec leur ombre. La vie s'enferme, à voix basse, dans la tiédeur des maisons. [...] Les familles enfermées pour de longues heures, sans la distraction du commerce, du voisinage, des conversations, recluses entre leurs murs, n'ayant rien d'autre à faire qu'à se regarder et réfléchir, découvrent leurs dissentiments, leurs fêlures, leurs laideurs. Les haines lèvent, et s'accordent contre l'Allemand. C'est sur lui qu'on se soulage du désir de meurtre, lui qu'on souhaite défigurer au lieu du mari sale et brutal, lui qu'on voudrait voir cinq pieds sous terre, et non le vieux qui s'obstine à ne pas crever. Sa présence blanchit les consciences.

René Barjavel, Tarendol

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Mai

l’odeur du pamplemoussier, quand je rentre le soir

et les roses déjà grillées, tombent en encensoirs

flétrissures arides au bout de leur tiges

il reste quelques mandarines, sur l’arbre où j’aime grimper

les capucines poussent leurs joyeuses corolles d’alien à ma rencontre

la bourrache et son bleu mauve palette-de-peintre

l’artichaut, après décapitation, est reparti de plus belle

et demain j’irai porter à la cousine, les derniers citrons

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